Ma tête me faisais affreusement mal.
Au moins, je suis vivant. C'est déjà ça.
J'avais les yeux ouverts. Mais impossible de distinguer quoi que ce soit clairement. Je voyais flou et des tâches colorées parsemaient mon champ de vision. Je sentais néanmoins la présence de quelqu'un à mon chevet. Je me tournai dans sa direction mais ne pus qu'apercevoir une silhouette, qui, bientôt, s'éloignait.
- Bordel... Mais je suis où, là ?
Gémissant, j'essayai de changer de position, sans succès. Il n'y avait plus personne, la silhouette ayant disparu. J'attendis quelques secondes. Ma vision me revint progressivement. J'étais dans une chambre d'hôpital.
Ouais. Logique.
Alors que je récupérais petit à petit mes facultés intellectuelles et de réflexion, j'aurais pu me poser tout un tas de questions comme combien de temps j'ai été inconscient ? Ou bien où est ce que je suis exactement ? Mais la seule question qui me préoccupait s'était de savoir où se trouvait Hinata. C'était pour ça que j'étais revenu. J'avais besoin de lui parler. Peu importait à quel point ne serait-ce qu'ouvrir la bouche était un calvaire.
Il y eut du bruit dans le couloir. Des pas, rapides, précipités, et des voix, inquiètes, chuchotantes. Ukai et Takeda passèrent la porte en premier, suivis de tout le reste de l'équipe.
J'ai alors eu droit au sermon de ma vie. Sur un ton à mi-chemin entre l'exaspération, la colère, et le soulagement les deux adultes ne cessaient de répéter à quel point j'avais été irresponsable et inconscient, ajoutant ensuite que si j'avais des problèmes, j'aurais dû en parler et enfin que j'aurais très bien pu mourir. Parce que les examens médicaux avaient établi que la cause de mon évanouissement était la prise excessive d'antidépresseurs. Une sorte d'overdose, quoi.
J'entendais ce qu'ils me disaient, mais j'avais du mal à me concentrer. J'avais la tête encore engourdie de mon expérience qu'on pourrait qualifier, sans mauvais jeu de mots, de "mortelle". Je ne les regardais pas vraiment, répétant dès qu'ils s'arrêtaient pour reprendre leur souffle un "je suis désolé", presque inaudible.
Je n'arrivais pas à distinguer si le problème qu'ils m'avaient attribué était une dépression mal gérée ou une toxicomanie médicamenteuse. Mais je m'en fichais, à vrai dire. Tout était fini à présent. Ou presque.
Tandis que le sermon laissait petit a petit la place aux phrases d'une part réconfortante et de l'autre anxieuse de mes coéquipiers, je cherchais Hinata des yeux. Il se trouvait vers le fond et ne me regardait pas. Une infirmière fit alors soudain irruption dans la salle, les sourcils froncés, le front plissé, et pria sur un ton de reproche de me laisser me reposer. Une fois qu'elle eut mis tout le monde dehors, elle s'approcha silencieusement de moi et changea ma perfusion, toujours sans un bruit. Avant de partir, elle me dit seulement:
- Vos professeurs ont appelé vos parents. Ils devraient arriver d'ici une heure. D'ici la, tâchez de dormir un peu.
Puis elle s'enfonça dans le couloir et disparut. J'aurais voulu lui demander elle pouvait faire venir Hinata à mon chevet, mais je n'en eus ni le temps, ni la force, ni le courage. Je m'enfonçais dans mon oreiller, dépité. J'avais l'impression que si je ne parlais pas à Hinata avant que mes parents arrive, ce serait trop tard.
Tant pis. Même si je dois en mourir, il faut que j'aille le chercher.
Je me relevai à grand peine, et basculai mes jambes sur le bord du lit. Attrapant ma perche de perfusion à deux mains, je comptais m'appuyer dessus pour me mettre debout, mais il faut croire que j'étais trop optimiste: au moment où je quittais le lit, mes jambes encore trop fragiles cédèrent sous mon poids et je m'écroulai dans un fracas de bruits métalliques.
Même après tout ce que j'avais vécu, le destin continuait de m'humilier. J'essayai de me tourner vers le lit mais ma vision se troubla une nouvelle fois, et je faillis encore m'évanouir.
Jamais de ma vie je ne m'étais senti aussi pitoyable, incapable et impuissant. Et toute la détermination que j'avais emmagasiner pendant mon séjour dans l'au-delà commençait déjà à disparaitre.
Peut-être que j'aurais dû rester là-bas, finalement...
Mais alors que je recommençais a m'appitoyer sur mon sort une main agrippa fortement mon épaule et on me demanda, inquiet, et dans la précipitation:
- Ça va ? Hé, Kageyama, réponds, ça va ? Comment t'as fait ça ?
Je tournai la tête vers le visiteur. Je crus rêver.
Oui, ça ne peut être que ça, je me suis évanoui, et je dois rêver, ou avoir une hallucination...
- Hinata...
Je dus retenir les larmes qui me montaient aux yeux.
Il est là, ça y est. Enfin. Le moment que j'attendais. Je vais enfin pouvoir le lui dire.
J'essayai alors de bouger, de retourner sur mon lit, ou en tous cas de faire quelque chose pour que je puisse lui parler comme il fallait.
- Ah... Attends je vais t'aider.
Il mit mon bras autour de ses épaules et me relevait pour me remettre sur le matelas, où je m'allongeai. J'avais l'impression d'avoir couru un marathon alors que je n'avais pas même réussi à faire un pas...
Je le regardai alors dans les yeux et je vis qu'il fuyait mon regard, finissant même par déclarer qu'il ferait mieux d'y aller.
Non. Je ne te laisserai pas partir. Il faut en finir avec ça. Il faut que ça cesse. Ici, et maintenant.
- Attends!
J'attrapai son poignet presque dans un réflexe.
- S'il te plaît... Il faut... Il faut vraiment qu'on parle.
J'essayai de plonger mon regard dans le sien, mais rien à faire : il tournait la tête, il me fuyait.
- S'il te plaît...
J'en étais au point où j'aurais pu me mettre à genoux et le supplier de toute mon âme de ne pas partir. Si j'en avais eu la force, j'aurais pu ramper à ses pieds pour le garder dans cette chambre, juste pour qu'il écoute ce que j'avais à dire.
- Je vais tout t'expliquer. Depuis le début. Je... J'ai vraiment besoin de t'expliquer.
Je le lachai et je le sentis partir. Mais il revint quelques instants plus tard avec une chaise, et s'assit, prêt à m'écouter.
Alors je lui racontais tout. Les crises, mes sensations, mes erreurs de jugement, ma folie, ma jalousie. Jusqu'aux antidépresseurs. Et la catastrophe du camp d'été. Il ne dit rien et me laissa raconter pendant de longues, très longues minutes toute l'histoire, aussi incongrue et pénible qu'elle soit à vivre ou à narrer.
Il y avait parfois de longs silences, soit parce que je cherchais mes mots, soit parce que je voulais lui laisser le temps. Pas forcément d'accepter, mais au moins de comprendre. Lui ne disait absolument rien. Il écoutait, patiemment, sans un bruit, aquiesçant seulement de la tête de temps à autres. Il ne me regardait toujours pas non plus. Évidemment, il m'en voulait encore. Je me doutais bien qu'il ne me pardonnerait pas aussi facilement.
N'empêche... Putain, ça fait mal...
Oui, c'est vrai. Malgré tout ce que je m'étais dit, tout ce à quoi je voulais me tenir, je n'avais pu m'empêcher d'espérer qu'au fond, s'il savait tout, il ne m'en veuille pas. Je pensais secrètement qu'on oublierait tout, qu'on repartirait de zéro, et que tout serait comme avant. Et je ne pus chasser cette pensée naïve et idiote même lorsque j'eus terminé mon récit.
- Voilà. Tu sais tout ce qu'il s'est passé. Tu n'es pas obligé de me pardonner. Je sais que... Que je n'ai pas à d'obliger à quoi que ce soit. Je sais que j'ai t'ai fait du tort. Beaucoup même. Et que tu m'en veux toujours affreusement. Et quoi que tu décides de faire, je veux que tu saches que je respecterai ta décision. Et c'est pour ça que je veux te laisser du temps pour réfléchir. Je veux que... Je veux que tu prenne la solution que tu souhaites, peu importe ce que ça voudrait dire pour moi.
Il ne répondit rien.
C'est normal. Je ne peux pas lui en vouloir. Je n'ai que ce que je mérite.
- Je savais que ça finirai comme ça, ne t'en fais pas. N'aies pas peur de dire que tu ne peux pas me pardonner. Tu peux même me frapper si ça peux te soulager. De toutes façons, j'ai pris ma décision moi aussi.
Je fis une pause. Les mots que j'allais dire me faisait mal. Un mal de chien. J'avais besoin de temps pour bien les formuler. Mais il fallait que je les dise. C'était mon engagement. Ma penitence. Pour toute la merde que j'avais foutu dans sa vie.
C'est trop dur de le regarder en disant ça...
Je regardais alors par la fenêtre, trouvant quelque chose de rassurant dans cette nature insouciante. Quatre mots. Juste quatres. Et ma vie serait changée. Je pris une inspiration.
- J'arrête le volley.
- QUOI ?!
Je portais mon regard de nouveau vers mon interlocuteur. Il s'était levé. En bondissant, sa chaise s'était renversée.
- Qu'est-ce... Qu'est-ce que tu viens de dire ?
- J'arrête le volley. J'ai compris que je ne ferais que te gêner. Et te rappeller de mauvais souvenirs. Il paraît que ça marche bien entre Haru et toi. Et puis, vous finirez bien par vous coordonner comme il faut. En vous entraînant je suis sûr que..
Il mit rapidement un terme à mon discours lorsqu'il m'empoigna par le col et me porta à son niveau, pour me hurler :
- C'est une blague, c'est ça ? C'est une blague ? Alors franchement arrête! Ça me fait pas rire! T'as perdu la tête ou quoi ? Arrêter le volley ? Toi ? C'est la perf qui te fais dérailler, hein ? C'est pas possible autrement... Tu peux pas dire ça, pas toi...
Hein ?
- Tu m'en veux c'est ça ? Tu m'en veux que j'ai choisi Haru et que je t'ai mis de côté c'est ça ? Mais merde... Mais.. mais comprends-moi! J'étais énervé... Tu faisais n'importe quoi ! Je comprenais pas, moi, je savais pas que tu souffrais, que t'étais malade ou je sais pas quoi! Et puis merde quoi! Tu m'as même pas répondu! Je t'ai insulté, je t'ai pourri et tu m'as rien dit ! Toi! Toi avec qui je passe mon temps à m'engueuler pour tout et pour rien. Pourquoi tu m'as pas remballé ? Pourquoi tu m'as laissé faire ? Pour quoi tu t'es pas défendu ? Je comprends pas... Depuis des semaines tu te laisses marcher dessus, tu te défends pas! Pourquoi tu ripostes pas ? Elle est passé où ta repartie, ton envie d'en découdre avec tout le monde ? Il est où le roi tyrannique ? Le chef ? Le maître du terrain ? Hein ? Et puis c'est quoi cette histoire ? Tu me laisses tomber c'est ça ? Tu me punis ? Arrête... S'il te plaît... Arrête... C'est pas drôle... Je te reconnais plus... Dis-moi que c'est pas vrai... Je suis désolé... Je suis désolé...
Au fur et à mesure qu'il parlait, sa voix était devenu tremblante, hésitante, son étreinte autour de mon col s'était désserrée mais surtout, par dessus tout, il s'était mis à pleurer. Et moi, j'étais complètement perdu.
Pourquoi se sentait-il coupable ? Ma décision était censée régler les choses entre nous. C'était moi le fautif dans l'histoire. C'était moi qui aurait dû demander pardon. Pas lui. Alors pourquoi ? Pourquoi...?
- Hinata, je... Pourquoi...? Pourquoi tu...? Je te laisse tranquille, tu peux continuer à avancer sans moi. Je suis un boulet pour toi. Alors pourquoi...?
- Tu n'es qu'un idiot! Un idiot et un menteur!
Un... menteur ?
- Tu ne comprends pas, hein ? Je voulais juste que tout redevienne comme avant... Que tu t'énerves quand tu n'es pas sous les projecteurs, que tu reprennes tes esprits que tu essayes de prouver que tu es le meilleur pour récupérer ta place... Mais au lieu de ça... Tu n'as rien fait... Et moi j'ai cru... J'ai cru que c'était de ma faute... je ne savais pas comment te dire que j'étais désolé... Mais toi... Toi! Comment tu peux dire que tu arrêtes le volley ? Tu n'es qu'un menteur! Un traître qui ne tient pas ses promesses...
Ses promesses ?
- Ah...
Je me souvenais à présent. Il y a plus d'un an, lorsque nous sommes arrivés au lycée, dans le même lycée, nous qui étions censés entre des rivaux, des ennemis, des cibles abattre, nous nous sommes retrouvés à être partenaires. Ce jour-là, on était à deux doigts de s'être-tuer. Mais finalement, on s'était dit que pendant ces trois années au lycée, avant de passer pros, on s'entraînerait ensemble jusqu'à ce qu'on soit assez fort pour se battre l'un contre l'autre.
Je m'en voulais de ne pas avoir compris des choses si simples. Je m'en voulais de lui avoir dit des choses si blessantes et de n'avoir pensé qu'à moi pendant tout ce temps. Décidément, il était toujours là pour me corriger et me foutre une raclée quand je déconnais.
Merci Hinata...
- De quoi ? C'est qui le menteur et l'abruti ?
Il me regarda alors droit dans les yeux, surpris, ébahi. Mais une ombre se réinstalla vite au fond de son regard et il me dit :
- Tu vas vraiment arrêter le volley ?
- De quoi ? Arrêter le volley ? Pourquoi ? On s'est pas encore affrontés à ce que je sache ? Boke!
Soudain toute trace de conflit, de rancoeur ou de culpabilité disparu et un gigantesque sourire s'afficha sur son visage. Il prit ensuite un air taquin:
- Ah bon? Je suis sûr d'avoir entendu que...
- N'importe quoi! J'ai jamais dit ça!
Je me sentais soudain gêné et je n'avais pas du tout envie de parler de ce qui venait de se passer.
- Pourtant j'ai pleuré et...
- Tu pleures tout le temps pour rien de toutes façons! Fais pas comme si c'était de ma faute... Je sais que j'ai merdé...
Je baissais la tête.
Il veut vraiment me faire culpabiliser...
- Tu sais, commença-t-il, moi aussi j'avais quelque chose d'important à te dire.
- Hm ?
- Je crois que je sais d'où vienne tes crises.
Je relevai brusquement la tête.
- Hein? Comment ça ?
Je vis alors que ses oreilles étaient écarlates et qu'il se tordait les doigts, comme s'il était stressé, ou embarrassé.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Il me fit signe avec le doigt de m'approcher et me glissa quelques mots à l'oreille. Je sentis tout a coup mon visage virer au rouge cramoisi et je m'éloignais aussitôt.
- Je... Que... Non... Je... Hein ?
Je n'arrivais pas à aligner deux mots et je n'arrivais pas bien à déterminé si c'était à cause de la surprise ou de l'embarras.
- Tu... Tu crois ?
Je réfléchissais à ce qu'il venait de me dire.
Moi, je... Non... Je... Si ?
J'examinais scrupuleusement et à toute vitesse la situation. Il est vrai que depuis quelques temps, je le regardais différemment, j'agissais différemment envers lui aussi, et puis je pensais beaucoup à lui et je...
Raaaaah! Il... Il a raison... Je... Non... Je suis...
Je me pris la tête dans les mains à la fois pour me cacher et pour me ressaisir.
Aaaah tuez moi maintenant ! Je meurs de honte!
La voix de Hinata me sortit alors de mes pensées.
- Mais euh... Tu sais... Je...hum... Comment dire ? Bredouilla-t-il. Il se trouve que... Euh... Si moi aussi je... Euh... Enfin, tu vois ? Si moi aussi je suis...
Je le regardai, ne comprenant que trop bien ce qu'il essayait malgré tout de formuler. Nous sommes restés comme ça, nous fixant dans le blanc des yeux, partageant mutuellement la même pensée, avant de nous détourner, incapable de surmonter notre embarras.
Mais soudain, au moment où il voulut reprendre la parole, la porte s'ouvrit à la volée, et mes parents déboulèrent en furie dans la pièce, suivis de près par l'infirmière. Ma mère se jeta sur mon lit et m'étreignit presque au point de m'étouffer, les joues dégoulinantes de larmes. Hinata en profita alors pour s'éclipser en me faisant un petit signe de la main. Je le lui rendis discrètement, tout en essayant de calmer ma mère.
Désolé de t'avoir inquiétée, maman.
Et alors qu'elle continuait de pleurer tout en me racontant combien je lui avais fait peur, je pensais à tout ce qu'il venait de se passer. Finalement, ça aurait pu être pire. Non ?
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Burnt By The Sun
FanfictionJ'ai appelé ça des "crises". Ce sont des périodes pendant lesquelles mon corps ne répond plus. Des périodes de souffrance, qui ne dure que quelques minutes, une fois par jour mais qui ont foutu ma vie en l'air. Elles présentent beaucoup de symptôme...