2. ALMA ET SOLAL

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Il l'avait pris de court. Solal avait l'air d'une vraie tornade.

- T'es arrivé quand ? Ça va ta chambre, l'appartement, alors ça te plaît ? Souffla-t-il d'une traite, certainement essoufflé par la montée des quatre étages. Solal était aussi beau que sur les photos, quoiqu'un peu plus grand qu'il se l'était imaginé, les mains dans les poches d'un blouson beige à larges manches. Une mâchoire saillante ciselait les contours de son visage et quelques cernes auréolaient le dessous de ses yeux. Son colocataire avait l'air réellement heureux de le rencontrer. Face à tant de spontanéité, Eliott se sentit immédiatement en confiance :

- Dix minutes à peine ! C'est encore mieux que ce que j'avais imaginé, c'est super grand
en fait pour trois personnes, répondit Eliott enthousiasmé par sa première rencontre en
France.

- T'as vu ça c'est cool hein ! Mais attends suis moi on va se discuter au salon tu rangeras
tes affaires après ! Proposa-t-il en se dirigeant vers le couloir, avec ce même sourire
d'enfant scotché sur le visage.

Eliott le suivit jusqu'au salon. Solal ouvrit la porte du frigo et lui proposa une bière depuis l'autre côté du bar de la cuisine qu'il accepta volontiers.

- Alors Eliott dis-moi tout. Quel bon vent t'emmène ? Demanda-t-il en buvant une
gorgée.

- Hmm, les deux dernières années se sont pas très bien passées pour moi. J'avais besoin d'un nouveau départ, alors j'ai postulé pour le lycée Beauvoir et j'ai appris que j'étais pris début août. Et c'est là que je vous ai... Mais Eliott s'arrêta net face à la stupéfaction de Solal à la mention du nom de Beauvoir.

Il l'interrogea du regard.

- Tu nous avais pas dit que tu étais à Beauvoir, mec c'est trop bien on est dans le même lycée! En arrivant en France, Eliott avait comme qui dirait « oublié » l'existence de ses futures colocataires.

Bizarrement, il n'avait pas vraiment songé à l'idée qu'il puisse se rapprocher d'eux, et d'un autre côté, le fait d'avoir déjà trouvé un point de repère pour sa première semaine de rentrée le rassurait.

- Tu voudras bien être mon guide privé si je suis perdu le premier jour ? Plaisanta-t-il en souriant.

Solal aimait bien l'attitude faussement nonchalante d'Eliott. Il l'impressionnait un peu. Tout quitter et arriver comme ça, qui plus est sans sa famille et dans un pays dans lequel il n'a pas mis les pieds depuis dix ans. Il lui trouva immédiatement quelque chose d'éteint, et en même temps une authenticité très touchante. Il pressentait qu'Eliott n'était pas très bavard, qu'il faisait partie de ces gens qu'on ne prend pas la peine d'écouter. Les mains dans les poches - présent-absent - sympathique au premier abord, voire attirant, énigmatique. Solal se dit qu'ils auraient beaucoup de choses à se dire en temps voulu. Il pensa surtout qu'il plairait énormément à Alma, lorsque celle-ci se déciderait enfin à pointer le bout de son nez.

- Ça fera 20 euros de l'heure, répliqua-t-il du tac-au-tac avant d'ajouter : c'est marrant à
t'entendre on dirait pas que tu as été en Espagne pendant deux ans. En fait, t'as pas
vraiment d'accent.

- C'est normal j'ai aussi été aux États-Unis, en Colombie et en Norvège. On parle à moitié
en français et en espagnol dans ma famille.

Solal et Eliott discutèrent de tout et de rien une heure durant. La banalité heureuse des premières fois. La façon qu'avait Solal de l'observer comme une bête curieuse l'amusait. Ils étaient sur la même longueur d'onde, même si Solal était définitivement plus excentrique et plus démonstratif. La conversation s'orienta sur la passion d'Eliott pour la photographie. Solal demanda à voir ses photos qu'il admira une à une, subjuguée par le talent de son nouveau colocataire. Eliott lui raconta sa vie en Espagne, le sport là-bas, la musique, ses deux premières années de lycée à Madrid. Alors qu'ils conversaient sur le canapé du salon, quelqu'un toqua à la porte : « Solal ouvre-moi s'te plaît j'ai pas mes clés ! ».

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