15. BLOW UP

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Vendredi
12h33

Gabrielle portait l'un de ses longs manteaux blancs, serrés à la taille par une ceinture de cuire, la main gauche enfouie dans sa poche, une cigarette au bord des lèvres. Eliott la rejoignit, de cette démarche assurée dont lui seul avait le secret, les mains dans les poches, son appareil photo à l'épaule.

- J'ai cru pendant un moment que tu ne viendrais pas, souffla-t-elle.

- Et bien non, tu vois, je suis là, répondit-il. On y va...?  

Gabrielle le fixa quelques instants, avant de lui emboiter le pas. Eliott lui avait répondu, et ils ne s'étaient pas reparlés depuis, comme s'ils avaient économisé leurs forces pour ce jour. Ils allaient faire des photos chez elle. Le père de Gabrielle comme d'habitude n'était pas là, leur laissant le champ libre pour essayer plusieurs endroits. Il lui sembla que la Gabrielle qu'il avait devant lui était la même que ce jour-là. Lumineuse à nouveau, plus confiante aussi. Quelque chose chez elle était revenu, comme une assurance, une voie. Ils y étaient, enfin, alors qu'une semaine les séparait désormais de la fameuse soirée. Ils en avaient mis du temps, pensa Eliott en regardant ses cheveux blancs courir derrière elle en de fins fils d'or. Alors qu'ils se retrouvaient seuls pour la première fois, Gabrielle et Eliott descendaient la colline du Parnasse, dans un silence étrangement familier. Le trajet se déroula sans encombres. Ils se regardaient parfois, attentifs à l'expression de l'autre, à toutes ces évidences, ces signes invisibles, qu'ils ne prononçaient pas, résolus. Et pourtant rien était caché. Le regard d'Eliott avait changé. Il la regardait davantage. Il la désirait plus. Il allait envie de l'embrasser, là tout de suite, au milieu de la rue. Gabrielle voulait lui prendre la main, mais elle ne le fit pas, restant dans le silence. Elle était curieuse de savoir comment Eliott allait s'y prendre, quelle pause il choisirait.
Alors qu'ils faisaient face à l'entrée de la propriété, les souvenirs d'Eliott reémergèrent brutalement, dans une anamnèse troublante. Il revit tout, encore. Les lieux, curieusement, n'avaient rien perdus de ce charme mystérieux, comme il aurait pu s'y attendre. La maison était toujours la-même. Elle se tenait là, intemporelle, au milieu du grand jardin et des arbres, comme suspendue dans un autre espace, captive du temps de la fête.

❃ ❃ ❃

- Alors, qu'est-ce que tu aimerais que je fasse ?

- Que tu m'oublies, répondit Eliott en ajustant les réglages de son appareil.

Gabrielle le fixa, dubitative.

- Tu dois faire comme si je n'étais pas là, précisa Eliott en esquissant un sourire.

Ils avaient décidé de commencer par la terrasse de la maison. La séance photo débuta naturellement. La gestuelle de Gabrielle ne trahissait aucune gêne, sa pause était droite, toute en grâce. Il n'aurait pas su dire pourquoi, mais il sentait qu'elle lui résisterait. Elle se tenait debout, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon beige patte d'eph. Elle portait un col roulé blanc, s'accordant parfaitement à la couleur de ses cheveux. Un collier doré pendait autour de sa nuque délicate. Eliott craignit un instant que ce fut lui qui ne soit pas à la hauteur de cette opportunité. Gabrielle était de loin la plus belle personne qui soit jamais passée derrière son objectif. Elle faisait partie de cette catégorie de personnes auxquelles on a pas à donner beaucoup d'indications. Gabrielle se suffisait à elle-même. Elle avait un sens inné de la pause, comme si elle savait d'avance ce qu'on attendrait d'elle. Le silence n'était pas gênant.

- Tu veux jeter un œil ? lui demanda Eliott afin qu'ils puissent prendre du recul.

Gabrielle souffla un bon coup avant de se rapprocher de l'appareil.

L'INCORRUPTIBLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant