6. DESTINÉS

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Alors que le soleil projetait leurs ombres sur la rue des Antiquaires, Eliott quitta Solal qui devait aller faire une course en ville. A l'intérieur de l'immeuble, il aperçut des gens discuter sur les chaises, près des plantes, dans la petite cour. Il faudrait qu'il y aille, un jour. Il s'engouffra dans la cage d'escalier avant de monter les marches quatre à quatre, les mains dans les poches, comme un enfant.

- Y'a quelqu'un ? C'est Eliott ! dit-il en refermant la porte d'entrée.

Il entendit du bruit prévenir du fond du couloir. Ça devait être Alma.

- Holà ! S'exclama elle rayonnante. Alors cette rentrée ?

- Hmm, j'suis dans la classe de Solal, éluda-t-il en posant son sac sur le bar de la cuisine,
l'air de rien.

- Mais ça va ça s'est bien passé ou...? Hésita-t-elle, captant comme un désappointement
ou une réticence dans son regard.

- Je sais pas trop quoi en penser pour le moment. Mais j'ai discuté avec des potes de Solal à la sortie ils ont l'air super cool.

- Lesquels?

- Gabrielle et Camille.

Alma ne répondit pas. Elle savait bien qu'Eliott s'était fait des idées ; qu'il avait été surpris. Il lui rappela Solal lors de ses premiers jours à Beauvoir. Elle lut cette même confiance dans son regard, celle-là même que son ami avait perdu au cours des premières semaines. Mais elle savait qu'en dépit du détachement apparent d'Eliott, celui-ci était bien plus fragile, plus sensible qu'il voulait bien le montrer. Comme tout le monde après tout, il devait avoir ses armures, ses forces et ses faiblesses. Il n'est pas trop tard, pensa-t-elle. Ils s'installèrent sur le balcon, avec une carafe d'eau, car Eliott allait fumer. Il proposa une cigarette à Alma qui refusa poliment, lui expliquant qu'elle était musulmane. Eliott voulait savoir. En trois jours, il ne s'était toujours pas habitué à sa présence.

Mystérieuse et chaleureuse.

Avec elle, il se sentait profondément libre. Comme s'ils avaient pu discuter d'absolument n'importe quoi. L'élocution d'Alma contribuait pour beaucoup à ce charme si particulier. Elle avait l'air plus âgée, expérimentée. Elle paraissait en paix, comme si elle s'était fait une raison : Alma était adulte. Il lui posa des questions sur sa vie. Elle lui avait déjà posé beaucoup de questions depuis son arrivée, c'était à son tour de lui raconter. Avant de se mettre en colocation avec Solal l'année dernière, Alma Ashur vivait chez ses parents, dans un modeste appartement de banlieue, au dixième étage d'une tour sans histoire, à quelques kilomètres du centre de la ville. Elle était issue d'un milieu prolétaire, ni pauvre ni riche. Ses parents l'avaient élevée en conformité avec les valeurs et les traditions religieuses qu'ils croyaient être justes, dans une culture où la famille passe pour le bien le plus précieux. Alma avait deux petites sœurs, Jasmine et Myriam, qu'elle n'avait presque pas vu grandir. Elle lui confia être reconnaissante pour le dévouement de ses parents. Elle savait tout ce qu'avait affronté son père pour leur offrir cette vie, les combats qu'avait dû mené sa mère au sein d'une société intolérante, la discrimination et le sentiment de rejet qu'elle avait due éprouver. Elle admirait son sens du devoir - dont elle tient peut-être un peu. Le côté de sa mère était de confession catholique, alors que la famille de son père, d'origine tunisienne, était de confession musulmane.
Alma avait baigné dans cet entre-deux, à l'orée de deux dieux et de deux livres, dont elle avait gardé ce qu'elle avait bien voulu garder, comme disait sa mère. Elle était leur plus grande fierté, l'ainée, « celle qui va réussir ». En effet, durant sa quatorzième année, Alma eut comme une sorte de révélation. La découverte d'une vocation, d'un métier. Très vite, l'évidence devint une conviction. Plus tard, Alma Ashur serait avocate.

L'INCORRUPTIBLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant