L'INCORRUPTIBLE

12. L'APRÈS

    Lorsqu'ils rentèrent à la colloc, Solal et Eliott se couchèrent immédiatement, abattus par leurs excès nocturnes, sous le regard répréhensif d'Alma. Chacun de son côté, était reparti avec quelque chose en plus dans le cœur, sur lequel ils n'auraient pas su mettre des mots tout de suite. Le réveil du lundi matin fut particulièrement éprouvant pour tout le groupe. Alors qu'il arpentait le long trottoir de la rue du lycée avec Solal, Eliott sentit quelques regards se posés sur eux. Décidément, ça devenait une habitude. Il l'ignorait, mais sa présence à la soirée de Gabrielle était loin d'être passée inaperçue, et avait alimenté les conversations des uns et des autres durant tout le week-end. Le lycée Beauvoir était un petit univers élitiste fermé, avec sa hiérarchie sociale, sa cour et son lot de rumeurs, chacun s'efforçant d'y jouer le rôle qu'on lui avait assigné. Et Eliott Fernandez, pour le meilleur comme pour le pire, s'était fait catégoriser comme le nouvel ami de Solal Michaud et Gabrielle Saerth. Ce petit jeu de rôles agaçait Eliott au plus haut point. Tout le monde l'avait mis en garde et pourtant, il avait profondément espéré que l'ambiance de son nouveau lycée soit différence de ceux qu'ils avaient fréquenté jusqu'à présent. Noé était adossé contre le mur, fumant une cigarette avec ses écouteurs. Eliott et Solal le rejoignirent.

- Ça va Noé ? T'es tout seul ? Demanda Eliott en expirant la fumée de sa propre cigarette.

- On dirait bien, répondit l'intéressé en souriant, tournant la tête à droite et à gauche.

    Eliott remarqua que Noé ne portait que des vêtements noirs. En fait, le garçon ne l'avait jamais vu porter autre chose. L'alliance de ce choix vestimentaire drastique, de ses yeux et de ses boucles noires comme la nuit, devait contribuer pour beaucoup à la première impression qu'il avait eu de lui, la semaine passée. Lorsqu'il l'avait salué, il avait remarqué que le jeune homme arborait des bagues argentées. Son expression avait changé. Noé paraissait plus accessible et moins sur la défensive. Eliott voulait apprendre à le connaître, malgré le fait que Gabrielle et lui ne s'apprécient pas, mésentente dont il ignorait l'origine. Ils éteignirent leurs cigarettes dans le cendrier à l'entrée du lycée, avant d'en franchir la porte imposante, les mains dans les poches. Lorsqu'ils arrivèrent dans leur salle de classe, ils tombèrent nez-à-nez sur Camille et Gabrielle, qui affichait une petite mine.

- Heh les gars, j'ai crée une conversation sur Messenger allez checker ! Annonça Camille tout de go.

- Trop cool, s'exclamèrent Solal et Eliott en même temps.

Le regard d'Eliott croisa inévitablement celui de Gabrielle.

- Hey ! sourit Eliott, dont le cœur recommençait à faire des siennes.

- Hey ! Répondit-elle le regard légèrement fuyant, une amorce de sourire se dessinant au coin de ses lèvres.

La journée allait être longue, pensa Eliott en sortant les affaires de son sac.

❃ ❃ ❃

    Tous les membres du petit groupe de l'Escale, à l'exception de Sofia, se retrouvèrent attablés ensemble une nouvelle fois, à la cantine du lycée, sous l'auspice d'Eliott qui commençait à devenir, malgré lui, un élément fédérateur. En voyant Noé Evans et son colocataire discuter le plus naturellement du monde, Solal se fit la réflexion que l'arrivée d'Eliott avait bousculé leur quotidien à tous. Il avait l'impression d'avoir enfin trouvé un vrai ami, quelqu'un de simple, de sensible, d'intelligent, pour supporter toutes ses conneries. Il avait vu pour la première fois un sourire dérider le visage de Noé, habituellement si inabordable et solitaire, et Camille trouver en Eliott une réponse à sa folie. Et puis Gabrielle, que tout le monde connaissait pour son nom, son visage d'ange, mais que personne, en vérité, n'avait jamais vraiment aimé pour ce qu'elle était vraiment. Cette Gabrielle qui n'avait jamais accordé sa confiance à qui que ce soit, la Gabrielle déprimée, en mal de vivre, qu'il avait retrouvé à moitié morte chez elle il y a deux ans, cette même Gabrielle, que Noé était parvenu à désarmé, l'espace d'un instant. Solal devina, lui qui la connaissait si bien, à quel genre de jeu Gabrielle avait commencé à se livrer, et ça ne lui plaisait pas du tout. Il se dit que son amie ne devait pas croire à la rencontre qu'elle avait faite, qu'elle avait pris ses distances avec lui par peur qu'il ne voit à travers elle. Et Eliott, dont Solal commençait à percer la psychologie, par peur qu'elle ne lui fasse du mal, prétendait qu'il ne s'était rien passé. « Ils sont incorrigibles » pensa Solal en les fixant tour à tour, un sourire sur les lèvres, que personne à table ne comprit.

                       
            ❃ ❃ ❃

    Le cours de philosophie - tant attendu - de Mme Després arriva. Pour l'instant, de tous les professeurs qu'il avait rencontré, elle était de loin la plus passionnée, mais aussi la plus passionnante. Son enthousiasme et son sens de l'humour contrastaient avec la rigidité parfois intimidante de leurs autres professeurs, et apportait un petit brin d'humanité à l'ambiance pour le moins cérémonial qui régnait dans le reste de l'édifice. Eliott constata que le rythme de travail avait changé ce matin : tous les cours s'enchainaient à une vitesse folle tant le débit de parole était rapide. Les devoirs maison avaient commencé à pleuvoir de toute part, des dissertations sur table étaient déjà prévues pour la fin du mois, et la liste des livres dont ils devaient connaître le contenu augmentait un peu plus à chaque cours. Noé et Eliott s'installèrent côte à côte. Eliott ne put s'empêcher de remarquer le contraste frappant entre cette semaine et la précédente, tant leur relation avait évolué depuis. Soudain, le fil de ses pensées fut interrompu lorsque Mme Després débarqua dans la salle de classe :

- Bien. J'espère que vous avez tous profité de ce week-end pour souffler une dernière fois parce que les choses sérieuses commencent aujourd'hui, déclara-t-elle les deux bras écartés sur le bureau, le regard inquisiteur.

Celle-ci marqua une pause, avant de poursuivre :

- C'est pourquoi j'ai choisi de vous faire plancher sur des sujets différents. Ce sera un devoir maison à faire par groupes de deux avec votre voisin de table. Vous serez priés de me faire parvenir le résultat final pour la fin du mois de septembre.

Eliott et Noé se regardèrent un instant, le regard entendu. La professeure passa dans les rangs pour leur remettre les sujets du devoir maison. Elle leur tendit leur feuille, leur jetant un coup d'œil qu'Eliott interpréta comme un signe de sympathie. Noé et lui découvrirent alors le sujet sur lequel il allait devoir plancher durant les trois prochaines semaines :

« Que peut la beauté face à la violence ? ».