8. LA SOIRÉE

34 6 12
                                    

Vendredi
20h32

Eliott, les bras croisés contre sa poitrine, fumait une cigarette accoudé à la fenêtre de sa chambre - vêtu d'un unique caleçon -, en attendant que Solal et Alma trouvent sa tenue pour la soirée de Gabrielle. Eliott s'en fichait, il n'était plus vraiment pudique. En cet instant, le jeune homme se sentait davantage désarmé face à l'attitude quasi infantilisante de ses deux colocataires, qui s'évertuaient à lui trouver le meilleur assortiment pour aller chez Gabrielle. Un sourire naquit au coin de ses lèvres en les regardant débattre sur les différentes combinaisons vestimentaires potentielles que renfermait sa garde-robe. Solal avait vraiment le don de provoquer son hilarité sans le vouloir. Quand Eliott lui avait demandé de l'aide pour choisir sa tenue de la soirée, il en avait fait une affaire d'État. Solal et Alma farfouillaient dans les vêtements d'Eliott depuis dix bonnes minutes quand soudain, leur visage s'illuminèrent :

- On est d'accord ma chérie ? Dit Alma en imitant Cristina Córdula.

- J'suis sûr ça rendra super bien avec son collier, ajouta Solal enthousiaste, finalement
parvenu au terme de son exploration vestimentaire.

Ils tenaient entre leurs mains un pantalon de costume gris accompagné d'une veste beige
et d'un tee-shirt noir.

Sobre et efficace.

- Vous êtes sûrs ? Ça fait pas un peu trop formel ? demanda Eliott.

Ses deux colocataires se lancèrent un regard mi exaspéré mi amusé face à sa question.

- Eliott t'es insupportable putain, s'exclama Solal en riant.

- Même si tu y allais avec n'importe quoi ça rendrait quand même bien, dit Alma. T'es
super beau Eliott, j'sais pas ça t'arrive de te regarder dans la glace parfois ?

Eliott avait un peu rougi lorsque leurs regards s'étaient posés sur son torse bronzé, laissant apparaître de fins abdominaux. Il enfila finalement la tenue qu'ils lui avaient choisi. Il avait coiffé ses cheveux avec une raie au milieu séparant ses mèches dorées de part et d'autre de son front vers l'arrière. Il scruta attentivement son reflet dans le miroir.

- Allez bg je pense que t'es prêt là, le taquina Solal.

Ce dernier avait opté pour une chemise à fleurs ouverte sur un tee-shirt blanc tout ce qu'il y a de plus normal et un jean bleu. Ils souhaitèrent une bonne soirée à Alma et vérifièrent s'ils n'avaient rien oublié avant de partir.

- Faut qu'on ramène quelque chose non ?

- Ouais faut qu'on passe à l'épicerie avant d'y aller.

❃❃❃

Solal et Eliott n'étaient plus très loin. Eliott n'avait encore jamais visité le quartier ouest de la ville qui disait-on laissait apercevoir les bâtiments tels qu'ils étaient au XIXème siècle. La rue qu'ils empruntaient lui rappela les petits villages d'Andalousie. Le quartier était presque désert et paraissait plus vieux, peut-être plus intact. Ici, les jardins des maisons débordaient plus volontiers sur les trottoirs qu'en centre-ville. L'herbe sous leurs pieds se frayait un chemin dans l'interstice des pavés, traçant de petites lignes vertes. Le ciel s'était ampli d'un rose intense, tirant sur le rouge. Le soleil s'apprêtait à disparaître, dorant les maisons d'une lumière ocre. La ville et le lycée semblaient loin tout à coup. Il faisait bon, la fumée de la cigarette d'Eliott flottait dans l'air, vaporeuse et bleutée. Ils avançaient d'un pas léger, presque insouciant, suivis du clapotis du vin dans les bouteilles.

Ils arrivèrent au bout de la rue, à l'entrée d'une grande propriété. « C'est là » indiqua Solal en sonnant à l'interphone à droite de la grille. La famille de Gabrielle devait vraiment être très riche pensa Eliott. Ils commençaient à entendre la rumeur de la musique. Une fois franchis le seul de l'entrée, ils suivirent un chemin gravillonné le long du parc de la propriété, peuplé d'hêtres et de sapins, dont la ramure couvrait les derniers rayons du Soleil. Ils arrivèrent devant la maison. Elle paraissait irréelle, cachée dans ce coin isolé de la ville, immense et majestueuse. Une large porte dominée par deux colonnes de pierre au style antique se tenait en haut d'un escalier de marbre, les battants grands ouverts. Les murs de la maison étaient tapissés de lierre et de glycines. Solal qui était familiarisé avec les lieux se dirigea vers les marches de la maison, suivi par Eliott, ébahi.

L'intérieur avait des allures de palais : chandeliers, moulures, peintures, cheminées en marbre. Comme d'habitude, Solal s'arrêtait à droite à gauche pour discuter avec des connaissances. Il devait bien y avoir une centaine d'invités, au moins.

Très vite, Eliott se retrouva seul au beau milieu de la soirée. A mesure qu'il progressait dans les différentes pièces du rez-de-chaussée, Eliott se sentit regarder par les autres. Mais leurs regards n'avaient rien à voir avec ceux des gens de sa classe. Il y lisait davantage de curiosité, peut-être un peu d'ivresse. Il reconnut « Lost in yesterday » de Tame Impala. Il lui sembla que la musique provenait de la terrasse sur laquelle donnaient le salon. Il n'était que 21 heures et pourtant les cendriers étaient remplis à ras-bord. Ça devait être la première fois qu'il se trouvait dans une soirée où il n'y avait que des verres à pieds. De grandes plantes vertes peuplaient le couloir et le salon de la maison. Eliott se munit d'une cigarette et se servit un verre de vin avant de quitter le rez-de-chaussée, pour sortir sur la terrasse où se trouvait la majorité des invités. La nuit n'allait pas tarder à tomber pour de bon. Des ombres dansaient dans le jardin. Quelques têtes s'étaient indiscrètement tournées vers lui, sourire aux lèvres, intriguées - « c'est qui lui, tu le connais ? ». Il alluma sa cigarette d'un air distrait sans leur accorder plus de crédit. Les gens respiraient une sorte d'euphorie qui plaisait à Eliott. C'était plus fort que lui. Son regard ne pouvait s'empêcher de la chercher du bout des yeux, dans chaque recoin, dans chaque visage.

Il reconnut Camille qui discutait avec un groupe de gens sur les marches de la terrasse. Ils ne s'étaient pas beaucoup parlés depuis le début de la semaine, Eliott partageant la plupart de ses repas en compagnie de Solal et ses amis. Des feux de bois artificiels venaient de s'allumer de part et d'autre de la terrasse, éclairant par la même les quelques mèches blondes de la jeune fille. Il n'en était pas sûr, mais il lui sembla que le visage de Camille s'était illuminé lorsqu'elle l'aperçut. Elle se dirigea vers lui, les mains dans les poches de son jean ample et noir, avec cette même énergie qui lui avait plu lors de leur première rencontre :

- Alors ? Surpris ? Demanda-t-elle, visiblement heureuse de le trouver là.

- Pour l'instant j'arrive pas à savoir si cet endroit existe vraiment, répondit-il, partageant
son enthousiasme.

- T'es pas venu avec Solal ? S'étonna Camille le cherchant rapidement des yeux.

- Si mais il m'a abandonné, dit-il feignant le désespoir.

Eliott voulut porter son verre à ses lèvres mais celui-ci était terminé. Alors même qu'il ne lui avait rien demandé, Camille était partie à la recherche de Solal. Sans doute s'inquiétait-elle de le voir passer sa soirée tout seul, ce qu'il trouva plutôt mignon. Les premières notes de « I Follow Rivers » résonnèrent sur la soirée. Le regard d'Eliott suivait chacun des mouvements qu'il avait sous les yeux. Les pas de danse, les clins d'œil, les corps chavirants, les visages ensorcelés.

Des éclats de vie, encore et encore, et puis des chants, des cris, des rires.

Elle se tenait là, sur un fauteuil de la terrasse - miraculeuse -, un joint entre les lèvres. Les mèches de ses cheveux blonds dansaient dans la nuit, les yeux rivés vers les étoiles.

Pure stase contemplative.

Le cœur d'Eliott battait un peu plus qu'il ne l'aurait voulu. D'où elle était, Gabrielle ne pouvait pas le voir. Il ne savait rien encore de ce qui se passait. Eliott voulait tout connaître de cette fille. Il avait terriblement peur d'être déçu, que le mirage s'évanouisse une fois touché.

Peut-être eût-il fallu ne rien s'imaginer ?

Il voulait prendre le pouls de sa vie, ressaisir les contours de son existence, retracer ses points de fuite.

Eliott voulait déjà l'impossible.

Alors il s'avança vers la table de la terrasse pour prendre une bière, les mains dans les poches, sans lui lancer un seul regard, comme s'il ne l'avait pas remarqué. Il l'imita et tourna ses iris bleus vers le ciel, prenant une tafe de sa clope à la volée, comme pour entrer en phase avec le ciel lui aussi.

- Eliott ?

L'INCORRUPTIBLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant