Snowman

Prologue

 ❄Snowman❄

Voilà quelques années maintenant qu'Izuku passait devant cette mystérieuse maison à la toiture biscornue. Les rideaux rouges étaient toujours tendus, de jour ou de nuit, si bien qu'Izuku n'avait jamais pu voir ce qui se cachait derrière ses épais bouts de tissus à la couleur du manteau du Père-Noël. Il aurait bien aimé savoir ce que cette maison à l'atmosphère glaciale pouvait bien renfermer. Il n'avait jamais vu personne y entrer ou en sortir, le propriétaire de cette étrange demeure était aussi discret que la petite souris.

Izuku marchait devant cette maison tous les jours pour aller à l'école. Son cartable jaune sur les épaules, il ne manquait jamais de jeter un coup d'oeil à la bicoque qui animait tant sa curiosité enfantine. Il se demandait qui pouvait bien vivre là pour ne jamais laisser un seul indice sur sa présence. La maison n'était pourtant pas abandonnée: le jardin était bien entretenu et la cheminée fumait continuellement du mois d'octobre au mois de mars.

Le cerveau candide d'Izuku s'était fait plein de film sur cette maison. Il imaginait que c'était celle du Père-Noël, ça aurait expliqué pourquoi personne ne passait jamais la porte: le Père-Noël ne devait sortir que la nuit du vingt-quatre décembre et le reste de l'année, il se la coulait douce en mangeant tous les cookies que lui avait offert les enfants. Ou alors, il songeait que c'était peut-être une fée frileuse qui logeait là. C'était pour ça qu'elle ne laissait pas d'empreinte: elle n'avait pas besoin de se servir de ses pieds, il lui suffisait de déployer ses ailes cristallines pour rejoindre les cieux.

Mais aucune de ces deux hypothèses n'était la bonne, et Izuku avait découvert la vérité un jour d'hiver. N'y tenant plus, il s'était aventuré jusqu'à la porte d'entrée en passant par le portail jamais fermé. Ses pas qui s'enfonçaient dans la neige faisaient le même bruit que lorsqu'il mâchait un bout de noix de coco. Ça avait exactement la même sonorité que ce morceau blanc et sucré qui craquait sous la dent. Il revenait de l'école, sa mère l'attendait sûrement déjà au coin du feu, il ne voulait pas s'attarder. Il voulait juste satisfaire sa curiosité et s'en aller. D'un geste mal assuré, il frappa à la porte.

Mais on ne vint lui ouvrir, à croire qu'il n'y avait personne. Il frappa deux autres fois, sans succès. Il faillit renoncer et retourner sur ses pas, lorsque son regard se posa sur la fenêtre aux rideaux rouges. Se mettant sur la pointe des pieds, il y donna un coup. Le bruit avait été étouffé par les jolies moufles aux dessins enfantins qui protégeaient ses mains. Et alors qu'il s'apprêtait à rebrousser chemin, le rideau rouge bougea pour la première fois.

Une petite main s'y était agrippée. Elle appartenait à un garçon de son âge, qui le dévisageait d'un regard impassible. Ses cheveux mêlés de rouges et blancs lui rappelait la douceur des sucres d'orge. On aurait dit que sa peau était de porcelaine, pas une imperfection ne venait entacher son visage de poupée. Izuku voulait se perdre dans ses yeux vairons, si singuliers, si froids mais si captivants. Izuku n'avait jamais vu personne d'aussi beau. Ce garçon avait beau être glacial comme un bonhomme de neige, aux yeux d'Izuku, il n'était ni plus ni moins qu'un ange.

— Qui es-tu ? murmura-t-il, le souffle coupé par la beauté presque mystique de cet enfant aux cheveux sucre d'orge.

Le garçon ne répondit pas. Il ne l'avait pas entendu, même s'il se doutait qu'il avait parlé en voyant ses lèvres bouger. Il remit le rideau en place et disparut du champs de vision d'Izuku comme il était venu. Il mit quelques secondes à réagir, il cligna plusieurs fois des yeux, de la même manière qu'il sortirait d'un rêve. Ça avait été si rapide, si onirique qu'il doutait de ne pas avoir imaginé la scène. Mais le rideau ne s'était pas complètement refermé. L'ange qu'il venait de voir existait bel et bien, caché dans cette maison enneigée.

Izuku n'en avait pas encore conscience, mais il venait de tomber amoureux. Ce bonhomme de neige au regard de glace avait fait fondre son petit cœur, mais ça, il ne le comprendrait que bien des années plus tard.

Il avait été tellement chamboulé par sa rencontre avec un ange qu'il n'avait rien pu avaler en rentrant chez lui. Sa mère s'était même demandé s'il ne couvait pas quelque chose, sans se douter que ce qui lui nouait l'estomac, c'était le coup de foudre qui venait de lui tomber dessus. Il n'avait plus qu'une idée en tête: retourner à la maison aux rideaux rouges pour revoir ce chérubin. Sa mère fut d'ailleurs étonnée de le voir si enthousiaste le lendemain matin, alors qu'il n'avait jamais aimé se rendre à l'école.

Il espérait de tout son cœur revoir ce garçon aux cheveux sucre d'orge. Mais comme d'habitude, en arrivant devant la maison, la porte était fermée, et les rideaux tirés. Et rien n'avait bougé lorsqu'il était repassé devant pour rentrer chez lui le soir venu. Cette routine dura une semaine avant qu'Izuku se lasse d'espérer un quelconque changement. Il avait enfin réussi à rencontrer l'hôte de cette mystérieuse demeure, il s'était fait des illusions en songeant que cela changerait son quotidien. Mais il voulait le revoir, et s'il devait encore une fois provoquer le destin, alors il le ferait.

Le lendemain, il eut beau frapper à la porte et cogner aux carreaux, il n'aperçut même pas le bout du nez de son bonhomme de neige. Il regarda la maison, dépité. Alors elle allait se terminer ainsi, son histoire d'amour qui n'avait même pas encore commencée ? C'était triste, mais il n'y pouvait rien. Il n'était déjà pas sûr que pénétrer ainsi dans son jardin enneigé soit légal, alors il n'allait pas non plus forcer la poignée pour essayer d'entrer.

Plus les jours passaient, et plus la vision de cet ange se faisaient floue et lointaine. Izuku aurait même pu finir par croire qu'il avait imaginé cette rencontre s'il ne s'était pas de nouveau retrouvé nez à nez avec ce bonhomme de neige deux semaines plus tard. Il avait cligné des yeux plusieurs fois en l'apercevant à la fenêtre, croyant à une hallucination. Comme s'il avait toujours été là, ce garçon aux cheveux sucre d'orge regardait la neige tomber, accoudé contre la fenêtre.

Izuku crut que son cœur s'était arrêté de battre quand son regard avait rencontré le sien. Il s'était figé devant le portail, on aurait dit qu'il venait de geler sur place. Les yeux bleu et marron de cet ange ne le lâchait pas, il avait l'impression qu'il sondait son âme. Ses jambes se décongelèrent soudain lorsque l'ange détourna le regard et s'apprêta à fermer les rideaux. C'était l'occasion ou jamais d'aller lui parler, et il n'était pas question pour Izuku de laisser filer cette opportunité.

— Attends ! s'exclama-t-il en accourant dans son jardin.

Il tomba dans la neige sous le coup de la précipitation, mais se releva rapidement pour rejoindre cette fenêtre qui s'était enfin débarrassée de ses rideaux rouges.

— Qui es-tu ?! insista Izuku en frappant aux carreaux.