1. Monsieur Pas De Vert

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Le carillon de la porte chante, un son que je connais par cœur depuis cinq ans. Je pose le fer à repasser, m'essuie le front avec un mouchoir et jette un coup d'œil à l'horloge. Six heures et demie, ça doit être Ollie. Mon cher cousin est réglé comme un coucou.

Je prends les vêtements soigneusement pliés sur l'étagère pour les  apporter à l'avant de la boutique et saluer mon cousin. Ollie vient un jour sur deux, mais pas pour ses propres vêtements. Il a l'air particulièrement méfiant aujourd'hui, fébrile même. Ce n'est pas vraiment inhabituel, vu son travail, mais il y a quelque chose dans la façon dont il me regarde qui m’inquiète.

«Tout va bien, Ollie?»

Il se mordille les lèvres, les mains crispées sur le sac qu'il tient. Je pousse les vêtements propres sur le comptoir, tend la main pour attraper le nouveau lot mais Ollie reste immobile.

«S'il te plait,» dit-il, «Ne te mets pas en colère…»

Je pince les lèvres. Alors? Puisque mon cousin refuse de bouger, je fais le tour du comptoir et lui prends le sac de ses mains. La chemise à l'intérieur est tachée de sang. Je soupire. Je vais devoir la frotter à l'eau glacée pendant au moins vingt minutes pour que ça parte.

«Qu'est ce qu’il fait cette fois?» Je râle. «C'est ça qui te tracasse?»

"Non. Je… Ecoute, j'ai essayé de l'en dissuader mais il ne voulait rien savoir- je n'avais pas le choix, il sait que nous sommes de la même famille- tu sais que je ne peux pas lui mentir. »

«Ollie, crache le morceau!»

«Tu es invité à la course de demain», lâche Ollie.

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas ce qu'il veut dire. Un klaxon retentit dans la rue, Ollie sursaute, regarde par-dessus son épaule puis se retourne vers moi.

«Tu as quelque chose de joli à porter?» demande-t-il.

«Ollie, de quoi tu parles? Quelle course? Qui m'invite? »

J’ai peur de connaître la réponse à cette dernière question. Ollie prend une profonde inspiration.

«Alfie a besoin… de compagnie pour la course hippique de demain. Il veut que tu y ailles avec lui.»

«Est-ce que j’ai l’air d’être une prostituée?» Je rétorque, outrée.

"Faut pas le prendre  comme ça. Enfin, je ne pense pas. »

«Tu ne penses pas,» je répète, perplexe.

«Il ne te fera pas de mal, je veux dire.»

«Même pas en rêve!», je crache. «Je suis sûr qu'il y a tout un tas de putains à Camden Town qui seraient ravies de lui tenir compagnie.»

«Il veut quelqu'un en qui il peut avoir confiance», explique Ollie.

«Ce n'est pas parce que je nettoie son linge sales que-»

«Je t’en prie! Je n'avais pas le choix.»

J'inspire un grand coup, prêt à lui cracher une réplique venimeuse mais je remarque la peur dans ses yeux. Je sais très peu de choses sur les affaires d'Alfie Solomons, à part le fait que la boulangerie qu'il possède n'est qu'une façade et qu'il est bookmaker, par contre, je sais que mon cousin est très protecteur envers moi. C’est comme ça depuis que nos deux pères ont disparu en France. J’ai l’impression que je n’ai pas vraiment le choix...

«D’accord, mais il devra payer pour la robe parce que je compte bien en acheter une.»

Ollie, dont le visage a retrouvé un peu de couleur, me serre dans ses bras et me remercie. Il me fait un sourire d'excuse, me serre les épaules et part.

Shefele, petit agneauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant