5. Cambridge

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Pas de lune de miel pour les Solomons. Notre nuit de noces fut belle - la tempête s'est finalement calmée et nous avons pu faire une promenade nocturne sur la plage après avoir célébré notre union comme il se doit - mais elle me paraît déjà un lointain souvenir...

Je secoue la tête et ouvre la boîte qui est sur la table. Maman m'a envoyé de nouveaux rideaux pour la maison de Cambridge que je n'ai pas encore pris le temps d'accrocher. J'ai un peu peur de la laisser seule à Londres mais elle insiste sur le fait que je ne dois pas m'inquiéter. Je suppose qu'avec la femme de chambre qu'Alfie a engagée pour elle, elle n'est pas vraiment seule… mais quand même, je n'ai jamais été loin d'elle pendant si longtemps.

Cyril dort sur le tapis, en ronflant comme d'habitude. Il grandit de jour en jour! Je m'arrête pour le caresser, le gratte entre les oreilles, puis traîne une chaise vers la fenêtre. Je monte dessus, les rideaux repliés sur un bras, et tend la main vers le bar. Il me manque au moins 15 centimètres, ces fenêtres sont tellement hautes! Je pose mon pied droit sur le dossier de la chaise, sécurise mon équilibre avec ma main contre le mur et monte. Je décroche la barre et essaie d'y glisser le rideau. Ce n'est pas facile d'une main mais-

«Bordel de merde, mon amour», lance la voix d'Alfie derrière moi.

Je sursaute, aboie Cyril avec excitation, mon pied glisse, la chaise bascule, j'essaye de me rattraper, la barre tombe sur ma tête, je gémis de douleur et me retrouve par terre. Alfie m'attrape déjà pour me remettre debout. Il aboie aussi en appelant Ruth, ma bonne.

«Ne lui crie pas dessus», dis-je en frottant mes fesses douloureuses. «Ce n'est pas sa faute.»

Cyril tourne en rond autour de nous en sautant, sa queue bouge tellement qu'elle fait se dandiner son arrière train. Ruth se précipite dans la pièce pour prendre le rideau, la chaise et le bar.

«Tu essayes de te briser le cou?» me demande Alfie.

«Je ne serais pas tombé si tu ne m'avais pas surprise,» je lui fais remarquer.

Il me regarde, les yeux brillants. Je lui souris et lui caresse la joue pour lui montrer que tout va bien. Cyril pousse contre ma jambe, je le prends dans mes bras et ris en le regardant attaquer mon mari à grands coups de langue. Son papa lui manque autant qu'à moi.

Nous laissons Ruth et Peter - mon garde du corps slash majordome - s'occuper des rideaux et savourons une tasse de thé dans le jardin, en suivant des yeux Cyril qui chasse les insectes et sa queue. La main d'Alfie est posée sur ma cuisse, je joue avec ses bagues - il y en a tellement que son alliance se perd au milieu de tout ça - en rêvant que ce moment ne s'arrête jamais.

Cette nuit là, alors que nous sommes allongés dans le lit, Cyril roulé en boule entre nos jambes, le bras d'Alfie m'enlaçant, sa main sur mon ventre, je  me demande… Malgré l'enthousiasme et l'énergie avec lesquels nous essayons, je ne n'arrive pas à tomber enceinte. Alfie n'a encore rien dit à ce sujet mais il doit sûrement y penser aussi…

Mon amie Maggie attend son troisième enfant, ma cousine Sissy vient de donner naissance à son dernier, même la femme d'Ollie est enceinte et ils se sont mariés un mois après nous! Mon médecin dit que je dois être patiente, que c'est plus facile pour certains que pour d'autres. Puisque je suis enfant unique, cela pourrait indiquer que, comme maman, je fais plutôt partie des autres…

Je caresse du bout des doigts le bras d'Alfie, de haut en bas au rythme des ronflements de Cyril. Il y a une zone rugueuse dans le pli de son coude, je m'y attarde. Au touché, ça ressemble aux plaques que maman avait eues il y a quelque temps. À l'époque, nous avions mis ça sur la lessive que nous utilisions et l'avions changé. Ses éruptions cutanées avaient disparu d'elles-mêmes. Il faudra que je demande à maman s'ils ont changé leurs produits.

Shefele, petit agneauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant