9. Liens de sang

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Il faut presque un mois sans aucun incident pour apaiser mon anxiété. Peter m'accompagne toujours partout où je vais - je dois éviter de marcher seule - et fait le tour de la maison plusieurs fois par jour, mais il n'a rien signalé de suspect. À moins qu'il ne le dise qu'à Alfie…

Sarah et moi revenons de l'école. Elle court à la cuisine chercher un biscuit tandis que j'accroche son manteau et… Mince, où est son écharpe? Je suis sûr qu'elle l'avait quand elle est sortie de l'école, elle a dû le laisser dans la voiture.

Peter est déjà en train de vérifier le jardin, je pense que je n'ai pas besoin de lui pour traverser le trottoir et récupérer l'écharpe de Sarah. En fermant la portière de la voiture, l'étoffe jaune à la main, je remarque un mouvement au coin de la maison. Mon corps refuse de bouger, même de respirer.

Un homme sort de l'ombre. L'homme que j'ai vu à Paris.

Je tressaille. Je sais qui il est…

*

Je m'assois sur le lit de Sarah, fixant le cadre, abattue. Sarah est en bas, en train de peindre. J'espère qu'elle n'aura pas l'idée de venir ici, je ne veux pas qu'elle me voie comme ça. Je secoue la tête, desserre mes doigts crispés autour du cadre. Les parents biologiques de Sarah me regardent, en noir et blanc, jeunes et souriants. L'homme que j'ai vu ne souriait pas mais les yeux, le nez, même le menton fendu…Ça ne peut pas être une coïncidence.

Pourtant, le père de Sarah est censé être mort et enterré en France, comment pourrait-il être ici? Ça doit être quelqu'un de sa famille, un oncle de Sarah peut-être? J'étais trop abasourdi plus tôt pour réagir quand il s'est enfui après que nos regards se soient croisés. Maintenant, je regrette de ne pas lui avoir parler. Ne serait-ce que pour savoir ce qu'il veut.

Mon cœur se serre quand je réalise qu'il est peut-être venu pour reprendre Sarah… Mon corps perd toute force, le cadre glisse de mes mains, tombe sur le lit. J'ai froid, j'ai le vertige. Peuvent-ils me prendre ma Sarah? Mon dieu, dois-je prévenir Alfie…?

Les deux jours suivants, je ne peux pas dormir. Je suis déchiré entre le besoin de trouver cet homme et la peur de ce qu'il va dire. Je prétends que je suis malade pour éviter trop de questions - d'une certaine manière je le suis, mon anxiété me rend fébrile - et l'infirmière Betty finit par me renvoyer à la maison avant que je puisse faire quelque chose que je regretterai avec les patients.

Je devrais appeler Peter pour qu'il vienne me chercher mais j'ai besoin d'un peu d'air frais. Je prends mon temps, marchant lentement, perdu dans mes pensées - toujours les mêmes : et si on me perd Sarah - si bien que je ne remarque pas que je suis suivie avant d'être presque à la maison.

Mon cœur bat la chamade quand je vois dans la vitrine d'un magasin le reflet flou d'un homme se rapprocher. Je veux bouger mais je ne peux pas me décider entre me retourner pour lui faire face ou partir en courant.

«S'il vous plaît», dit l'homme, «je ne vous veux aucun mal. »

Il se poste devant moi, hésitant. Ses yeux regardent partout sauf mon visage. Nous restons là, sans rien dire, mon cerveau est vide. L'homme tend sa main timidement, je tressaille et recule.

«Si vous pouviez juste prendre cette lettre,» dit-il, «je vous laisserai tranquille. »

Je n'avais pas remarqué l'enveloppe dans sa main, je m'en saisie d'un geste rapide, de peur qu'il m'attrape le poignet. L'homme disparaît en un clin d'œil, me laissant plantée là, perdue. Il ressemble trait pour trait à la photo…

Je me précipite à la maison. J'ai quelques heures avant que Sarah ne rentre de l'école, j'ai le sentiment que j'aurai besoin de tout le temps que je pourrai pour digérer la lettre! Je cherche du courage auprès de Cyril qui se blottit contre ma jambe alors que je m'assois sur le canapé. Mes mains tremblent quand j'ouvre la lettre.

Shefele, petit agneauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant