6. Ce que tu vois en rêve

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Alfie a été agité toute la nuit. Lui et les draps sont trempés de sueur comme s'il avait de la fièvre. Peu importe combien de fois j'essaye de le calmer, il retourne à ses cauchemars à la minute où il ferme les yeux. Je vais lui chercher un verre d'eau, éclairé par une bougie, en prenant garde de ne pas réveiller Ruth et Peter.

Je regarde par la fenêtre en remontant les escaliers, j'admire la façon dont la pleine lune illumine les flocons de neige qui dansent dans le vent. J'ai été tellement occupé avec l'université que j'ai oublié de profiter des petits cadeaux que la vie offre. Probablement parce que le seul que je demande m'est refusé.

Hypnotisé par la neige, mon esprit s'égare… Je me demande si je suis puni  d'aimer un homme mauvais, d'abandonner d'où je viens et laisser Alfie me gâter, ou bien suis-je puni pour ses péchés? Plus je pense à tout cela, plus mes pensées se font sombres. Je trouve le manque de réaction d'Alfie face à mon incapacité à tomber enceinte suspecte. Peut-être qu'il a déjà une tripotée d'enfants illégitimes et qu'il n'a pas besoin des miens. Peut-être qu'il voit quelqu'un d'autre à Londres.

Je reviens à la réalité en secouant la tête. Alfie a besoin de moi maintenant, je ne devrais pas penser à lui comme ça. Il m'aime, je le sais. Le reste ne devrait pas avoir d'importance.

Quand j'entre dans la chambre, Alfie est assis dans le noir, sur le bord du lit, caressant Cyril. Je lui donne son verre d'eau en m'excusant de ne pas lui avoir apporté quelque chose de plus fort. Il le boit d'un trait et me serre dans ses bras, son visage pressé contre ma poitrine.

«Promets-moi», marmonne-t-il, « que tu ne porteras jamais de vert.»

Je fronce les sourcils. J'ai dû mal comprendre, sa voix est étouffée et basse. Il ne peut sûrement pas parler de…de mode après une nuit aussi agitée?

«Promets-moi», répète-t-il en levant la tête.

«Seulement si tu me dis de quoi il s'agit.»

Ses yeux plissent, ses lèvres disparaissent complètement derrière sa moustache. Je passe mes doigts sur sa joue, trace la cicatrice qui fait un trait dégarni dans sa barbe, puis l'arête de son nez. La lumière vacillante de la bougie crée des ombres sur son visage qui accentu le désespoir dans ses yeux. Je me penche pour l'embrasser.

«Parle moi», je murmure contre ses lèvres.

Il prend une profonde inspiration et, avec un calme déroutant, commence à décrire son rêve. Comment il me tient dans ses bras, comment il voit  la vie qui s'échappe de mon corps impuissant. Un frisson me descend dans le dos.

«Tu es dans cette putain de robe verte», dit-il, «une robe de chambre ou je ne sais quoi mais c'est vert. C'est vert et rouge de ton sang. »

«Ce n'est qu'un mauvais rêve.»

«Un mauvais rêve qui m'a conduit à toi, hm?»

Je le regarde, confuse.

«Je rêve de toi depuis la France, Shefele. À l'époque, je ne savais pas qui je tenais dans mes bras, mais je savais que j'aimais cette femme plus que tout parce que la regarder mourir me brisait en un millier de putain de morceaux. »

Je l'attire contre moi pour qu'il ne voie pas le choc sur mon visage. Il m'a interdit de porter du vert la toute première fois que nous nous sommes rencontrés… Mais penser qu'il m'a cherché après m'avoir vu en rêve? Quand ce rêve était de si mauvais présage?

Alfie recule et me regarde droit dans les yeux.

«Je te protégerai», dit-il avec une confiance effrayante, «contre tout, à n'importe quel prix. Je te demande juste de ne jamais porter de vert.»

Shefele, petit agneauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant