Personne De Confiance

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Alfie et moi continuons à nous voir comme ça presque tous les jours alors que nous entamons l'année 1920. Maman me harcèle avec ça alors je lui raconte la même histoire qu'à Maggie, celle de Cyril le croque-mort. Je pense qu'elle est tellement contente que j'ai finalement trouvé quelqu'un qu'elle n'insiste pas trop quand je donne des réponses évasives à ses questions.

Ces rendez-vous avec Alfie sont addictifs, à chaque fois il me fait me sentir précieuse et désirée, chose que je n'ai pas ressenti depuis longtemps. Après l'amour nous parlons, parfois pendant des heures. A ma grande surprise, il y a peu de choses dont Alfie ne veut pas parler. S'il m'a dit très clairement que je ne devais rien demander à propos de son travail et la France, il semble ouvert à tout le reste sans réserves. Cela fait grandir mes sentiments pour lui plus vite que je n'étais prête à me l'autoriser.

Bien sûr, cela m'aide aussi à cerner le personnage et à mieux comprendre la façon dont il se comporte avec moi. Comme quand il m'explique que sa mère gagnait sa vie en lavant des draps et les lui faisait livrer aux hôtels et aux bordels de Camden Town. Voilà pourquoi il fait tout pour que je ne travaille plus à la blanchisserie.

Je ne suis pas encore tout à fait à l'aise avec cela, mais je dois admettre que le couple qu'Alfie nous a envoyé sont de bons travailleurs, polis et rigoureux. Maman les adore et je suis contente qu'elle puisse prendre du temps pour elle. Heureusement, elle n'est pas douée avec les chiffres et se tient à l'écart du livre de comptes. Je n'ai pas à lui expliquer pourquoi nous ne payons pas ces gens. Ollie d'un autre côté… Je pense qu'il soupçonne quelque chose mais Alfie est très strict sur le secret de notre relation et Ollie a probablement trop peur pour insister.

Même si je dois gérer mes nouveaux employés, je me retrouve avec beaucoup de temps libre que je ne sais pas vraiment comment occuper. Alfie travaille beaucoup et à des heures insensées, il passe rarement la nuit avec moi, partant souvent en douce pendant que je dors, donc je ne peux pas compter sur lui pour me promener ou quoi que ce soit. J'ai appris ma leçon, je ne lui rends pas visite au travail non plus, alors je passe voir Maggie ou ma cousine Sissi et les aide avec les enfants.

Ce soir, Alfie est venu me rejoindre très tard à l'hôtel, mais au moins il est encore là. Il s'est endormi à côté de moi, après des ébats plutôt vigoureux qui nous ont laissés poisseux et engourdis. J'ai dû m'endormir aussi mais quelque chose m'a réveillé - peut-être Alfie ?

Il fait trop sombre dans la pièce pour le voir mais j'entends sa respiration, je sens sa chaleur, il est indéniablement là. Je cherche sa main et la pose sur mon ventre. Je sens son petit doigt recourbé - une blessure gagnée dans une bagarre quand il était adolescent, il n'a pas dit ce qu'il est advenu de l'autre garçon - et le déplie bien à plat contre ma peau.

Alfie bouge, roule vers moi et me tire contre lui. Je me blottis dans l'étreinte, ferme les yeux. Il me serre de plus en plus fort, au point que j'ai du mal à respirer. J'essaye de me libérer mais il ne lâche pas prise. Il est agité, il doit faire un mauvais rêve.

J'arrive à m'extraire de ses bras et cherche à tâtons la lampe sur la table de chevet. La lumière ne suffit pas à le réveiller mais elle me permet de voir son visage tourmenté, ses sourcils froncés, ses lèvres tremblantes, de la sueur perle sur son front.

Je me penche et le secoue doucement. Il crie, attrape mon poignet - bien que je ne sois pas sûr qu'il le fasse consciemment - et ouvre les yeux. Je peux voir qu'il est toujours coincé dans son cauchemar. Mon poignet commence à me faire mal, je tire dessus et le libère de la main d'Alfie que je prends dans mes bras. Son dos est trempé de sueur, il frissonne. Je caresse ses cheveux, lui murmure des mots apaisants tandis qu'il se blottit contre ma poitrine.

Shefele, petit agneauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant