Chapitre VII :

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Les mains crispées sur ses genoux, le regard vif, le buste en avant -témoignant son intérêt-, Ama était prête à écouter ce que Caeta avait à dire. En espérant qu'elle leur en dirait assez.

— Donc je dois vraiment passer à table ? Il n'y a pas moyen que je vous laisse mariner ? tenta Caeta une ultime fois.

— Si tu ne tiens ne serait-ce qu'un petit à moi oui, répondit Ama.

Cette fois-ci, c'était un ultimatum, ou Caeta se défilait et oubliait Ama, ou elle disait ce qu'elle savait et conservait la relation stable qu'elle commençait à avoir avec sa fille.

Les yeux dans les yeux, elles se dévisagèrent, dans les yeux de Caeta se lisait un doute et une peur qui devenait palpable, tandis que dans les yeux d'Ama se lisait une détermination infaillible avec un mélange de quiétude, sa mère ferait-elle passer ses secrets avant elle ?

Soudainement, Caeta soupira.

— Je n'ai pas vraiment le choix. Bien qu'il soit évident.

Caeta joignit les mains et laissa son regard se perdre sur la pièce, c'était signe qu'elle allait parler. Soulagée, Ama sentit ses muscles se décontracter tandis qu'à côté d'elle, Ginny s'affalait dans le canapé, les bras croisés.

— Bon, vous parlez ou vous attendez le déluge ? Parce que si c'est le cas je peux aller chercher un hydrokinésiste, déclara Ginny avec son tact habituel.

— Ne soyez pas si impatientes. Je fais le tri, répondit Caeta.

Une minute s'écoula. Puis une deuxième. Et une troisième. Une quatrième. Une cinquième. Caeta ne parlait toujours pas, Ama se demanda même si elle n'avait pas perdu l'usage de la parole. Mais, au bout de ce qui parut être l'éternité, elle ouvrit la bouche et commença à expliquer le gros du problème.

— Ton père a toujours été un aventurier et un trublion. Depuis petit il trouvait le moyen de se mettre dans des situations compromettantes. Des heures de colles pour s'être introduit dans le bureau d'Alina, réprimandé par ses parents pour avoir fait exploser l'une des salles de Foxfire, il a fini par être envoyé à Exilium. Là-bas, on lui appris ce qu'était la vie, l'adversité, les obstacles. On lui a appris à être déterminé, à se relever, à ne compter que sur soi, commença Caeta.

Elle s'arrêta un instant, le regard brumeux elle semblait voir les souvenirs défilaient tandis qu'Ama s'imaginait son père, plus jeune et à Exilium, et elle comprenait également d'où elle tenait cette fâcheuse tendance à se retrouver dans des problèmes jusqu'au cou lorsqu'elle était en cours.

— Les Mentors d'Exilium l'aimaient bien, il leur montrait une facette inconnue des Cités Perdues. Pour eux, il était symbole de rébellion et de liberté. Insouciant comme le vent, libre comme l'oiseau, imprévisible comme la rivière, rebelle comme le loup et rusé comme le renard. Pourtant, il restait aussi fragile qu'une fleur, un rien pouvait l'émouvoir comme tout pouvait ne lui faire ni chaud ni froid, reprit-elle d'une voix qui laissait entrevoir de faibles tremblements.

Ama sentit Ginny perdre patience à côté d'elle, des ondes d'interrogation s'émanaient d'elle, elle se demandait sans doute à quoi aboutissait tous ces discours pour ne rien dire. Au contraire de l'Empathe qui, elle, était hypnotisée par les paroles de sa mère. La vie de son père l'intéressait fortement, elle avait l'impression de s'y identifier sur certains points. Elle ne montra donc aucun signe d'impatience, seulement de la curiosité résidait dans son attitude.

— Et ça, les Indociles l'avaient compris, plus précisément Elios. Il aimait bien Hunter, il le trouvait prometteur, du jour au lendemain, Hunter s'est retrouvé embarqué dans une bande. Dans un clan, pas comme les Invisibles qui employaient la force pour se faire voir, pas comme le Cygne Noir qui utilisait la peur pour qu'on les écoute, non. Ce clan, il utilisait la ruse, l'intelligence et la bienveillance. Elios, qui faisait partie de ce clan, faisait pleuvoir des indices de temps à autres pour qu'Hunter soit curieux, il l'aidait lorsqu'il se battait avec des Indociles avec un pois-chiche pour cerveau, et il prenait garde à entretenir l'espoir d'Hunter, celui de voir un jour les illusions tomber, pour des Cités où chacun aurait une place.

La curiosité d'Hunter fut piquée. Il a donc suivi Elios dans ce clan et en est devenu un membre à part entière. Même l'un de leurs meilleurs membres, dévoué, rusé et au cœur d'or, Hunter avait mérité sa place. Il s'est fait beaucoup d'amis et d'ennemis durant ses missions, parfois même des amis qui devenaient des ennemis, déclara Caeta d'un coup en prenant à peine le temps de souffler.

Reprenant son souffle, Caeta ne dit plus rien, une main posée sur le cœur elle prend de grandes goulées d'air tandis qu'Ama la regarde, le regard brillant de curiosité et d'extase, sans même le connaitre, elle admirait son père. Il avait l'air d'être si bon dans les paroles de Caeta !

— Et, il y a une suite ? demanda Ginny.

— Il y a la fin surtout. Lors d'une mission, Hunter a joué avec le feu, il s'est retrouvé à devoir choisir. Sa famille ou la liberté. Si vous préférez, il a dû choisir entre être emprisonné et laisser Erso prendre sa place tandis que lui était dans des cachots, ou être libre et voir sa famille prisonnière des Invisibles. Je pense que vous avez compris quel fut son choix. Après ça, je n'ai plus eu de vraies nouvelles de lui, seulement des « il est en vie » de temps à autres. Puis vint le jour où j'ai décidé de faire une tentative, le jour où je vous ai revu. Vous connaissez la suite et enfin, vint le jour où j'ai appris son décès. Il était resté fort longtemps, trop longtemps, il n'a pas supporter le dernier coup porté, termina Caeta les yeux humides.

Prise d'un geste de réconfort, Ama se leva et alla entourer sa mère de ses bras et lui frotta les bras tandis que Caeta refouler ses larmes. Pour les deux c'était une scène inédite, cela expliquait donc la gêne ambiante de la pièce.

— Et. Hum. Comment se nommait ce clan ? demanda Ginny.

— Je ne sais rien de plus. Je ne vous ai conté que le passé dont je suis au courant. Vous voulez des informations supplémentaires ? Retrouvez Elios. Nous sommes à un temps où il le connaissait mieux que moi. Elios sait tout d'Hunter, il a grandit avec lui à Exilium, il lui a appris la vie et j'en passe, expliqua Caeta en séchant ses larmes d'un revers de main.

— Et tu sais où le trouver ? demanda Ama, pleine d'espoirs.

— Même si je le saurais je ne le dirai pas.

— Et pourquoi donc ? s'étonna Ama en s'écartant d'un bond.

— Je vais t'apprendre une chose ma fille, je ne te mâcherai pas le travail, tu as déjà encaissé plus dur que ça. Si tu as l'ambition de ton père tu chercheras Elios, si tu as sa détermination tu le retrouveras, si tu as un bon raisonnement tu sauras recoller les pièces du puzzle une par une, tu résoudras l'énigme pas à pas, indice par indice. Tu ne sauras pas toutes les réponses, et ils refuseront de toutes de les donner, mais si tu as mon entêtement tu finiras par découvrir la vérité, si tu as la force, la foi et le courage, tu vaincras plus fort que toi, que ce soit avec ton esprit d'acier, ton âme d'argent ou alors ton cœur d'or. Tu n'as qu'une seule chose à faire ma fille. Tu as juste à rester toi-même.

La Mélodie du Temps. Tome II : Besoin d'airOù les histoires vivent. Découvrez maintenant