De vieilles légendes racontent qu'il était un chasseur géant à la force prodigieuse et à la beauté immense, capable de marcher sur les flots et d'atteindre le ciel. Il s'appelait Orion, fils de Poséidon, Dieu de la mer, et d'Euryale fille de Minos.
C'est sans nul doute pour cela que ma sœur t'a nommé ainsi...
Orion fils d'Euryale.
Les légendes rapportent qu'il aurait trépassé face au courroux de la déesse de la Terre.
Ils peuvent bien dire ce qu'ils veulent, moi je sais.
D'autres racontent qu'il serait né d'une peau de bête enterrée dans le sol d'un jardin royal, chéri et attendu comme un miracle pour qu'il se métamorphose.
Né du désir et de la terre...
Je me suis noyée du désir de te voir grandir, aimer et vivre. Je t'ai offert la plus fertile des terres que je possédais pour que tu deviennes un homme sage et fier.
Je ne suis pas née pour être ta mère, mais le destin m'a élevée pour que je le devienne.
Pourtant, quelle destinée malheureuse, quelle infortune que d'avoir eu à perdre un être cher pour avoir pu te garder près de moi... Je me suis toujours sentie félonne et honteuse, car c'est de la tragédie d'avoir perdu une sœur que j'ai trouvée le plus immense des trésors. Il était son fils et il est devenu le mien, mon garçon, mon absolu. Orion.
Je me souviendrais à jamais de la première empreinte que tu as laissée sur mes rétines.
C'était une journée d'hiver, une de ces journées qui semblent complètement affranchies du temps et des heures, et dont le souvenir nous reste pareillement au voile d'un rêve. Je me souviendrais à jamais de la lumière fade et morne filtrant à travers les vitraux sales, et de l'air froid et humide qui régnait dans l'église du village de mon enfance lorsque j'y pénétrais cette après-midi-là. J'étais épuisée par le voyage et par la douleur du deuil. Cette sensation atroce me retournait les tripes. La sensation de retrouver le lieu qui m'avait vu grandir aux côtés de ma sœur, ce lieu que j'avais aimé comme un foyer, et que j'avais renié et fuis. Ce lieu que je retrouvais désormais pour dire adieu à celle que j'avais laissée derrière moi. Je me sentais comme un déserteur revenant sur un champ de bataille brûlé et baigné du sang de ses compagnons.
Quand je suis entrée, le souffle court et les yeux noyés de larmes, la cérémonie avait déjà commencé. Alors que je m'avançais silencieusement, je vis dans les yeux autour de moi le mépris et la honte. Je m'assis discrètement au fond de l'église, loin de mes parents et du reste de ma famille. Je regardais avec dégout autour de moi, ne voyant que des inconnus feignant le chagrin, vêtus élégamment et coiffés comme pour les jours de fête. Moi, seule l'affliction m'habillait. Mes cheveux blonds étaient ternes et lourds d'humidité, mon vieux jean me collait à la peau et mon mascara avait probablement coulé sur mon visage. Je pleurais plus de remords que de choc. Et chacun de mes sanglots était un appel égoïste au pardon. Pardon d'avoir été puérile et insolente, et de m'être arrachée à elle sans plus de raison. Je pleurais également de rage et de haine parce que ma sœur avait été une idiote. C'était une amoureuse irraisonnée et sotte qui se laissait battre en souriant, qui s'était fait abandonner par le père de son unique enfant, qui tombait amoureuse comme tombe les feuilles en automne, qui continuait d'aimer malgré la violence, et qui jamais ne fuyait. Et voilà qu'elle était morte d'avoir aimé aveuglement et sans borne. Je me souviens avoir réprimé un cri de détresse à cette pensée.
Mourir d'aimer, quelle infortune.
Un rayon orangé avait alors inondé l'église, filtrant à travers les nuages pour venir s'échouer en millions de couleurs sur le vitrail au-dessus de l'autel. Aveuglé un instant, je relevais le visage. C'est alors que je le vis pour la première fois, tout devant au côté du dernier berceau de sa mère. La lumière inondait son visage d'enfant et dansait sur sa peau brune mordorée, le rendant pareil à une apparition angélique. Je frissonnai quand j'aperçus son regard. Ses orbes d'un ambre intense brillaient d'une violente amertume et d'une mélancolie haineuse et rancunière. C'était un enfant blessé, mais il avait l'allure d'un homme et l'étoffe d'un guerrier. J'en eus le souffle coupé et mon cœur cessa de battre une seconde. Je ne pouvais plus défaire mon regard de ce petit garçon. Orion, le guerrier à la beauté incommensurable, au cœur brisé et à l'aura stellaire. Comme attiré par mon insistance, il se tourna vers moi, et nos regards se trouvèrent. Alors je sus. À cet instant précis, je sus que toute mon existence n'avait désormais qu'une visée, qu'un but: celui de le chérir et de le porter de toutes mes forces pour qu'ils s'élèvent jusque dans les nuages, et que sa puissance terrasse les flots et les tempêtes.
Nous nous recroisâmes plus tard, sur la pelouse boueuse du cimetière. Son regard me transperça alors que je m'approchais de lui, et je sentis aussitôt que mon désir était réciproque.
— Bonjour Orion, avais-je fini par murmurer. Je sais que tu ne m'as jamais rencontré, mais je suis la petite sœur de ta maman.
Orion, fils d'Euryale.
Il se contenta de hocher la tête. Et alors que je m'accroupis face à lui, il m'agrippa les deux mains, et je sentis l'immense besoin de les serrer encore plus fort.
D'une voix grave d'enfant, il murmura, son regard fort et déterminé planté dans le mien :
— Je sais. Je te reconnais Gaïa.
Orion né de la Terre.
Nous étions des inconnus et pourtant ce fut une évidence. Tu avais huit ans et moi dix-neuf. Avant toi j'étais une adolescente capricieuse et irresponsable, pleine de rage et de dénis, de haine et d'illusions. Tu m'as faite mère, guerrière fière et libre, débordant d'amour et de détermination. Mon unique, mon garçon. Orion.
Je t'avoue que tu n'as pas été des plus faciles à élever, toi et ton caractère borné et insolent, et moi qui ne l'étais pas moins. Nos débuts ont été chaotiques, je le confesse. Nous avons dû nous construire ensemble sur un sol friable et prompt à s'écrouler. Si tu savais combien je t'ai maudit, autant que je t'adore... Combien je t'ai détesté pour avoir abusé de ma jeunesse et de ma naïveté, et combien j'ai parfois dû étouffer ma violence face à la tienne !
Et puis, le temps est passé, une décennie d'osmose, où tu es devenu ce que tu étais en puissance depuis toujours. Tu as su apaiser ta rancune et ton hostilité s'est muée en douceur. Le guerrier est devenu poète, sans pourtant ne rien perdre de sa force intérieure. Tu étais un petit garçon blessé et orphelin, tu es devenu un homme éclairé et libre. Je t'ai donné des ailes pour voler et tu les as étendues glorieusement pour prendre ton envol. Je t'ai laissé t'en aller, le cœur empli de fierté et de mélancolie. Tu avais trouvé où partir, tout ce que je pouvais t'offrir désormais c'était une maison où revenir, et le cœur dévoué d'une mère pour te soutenir.
Et voilà qu'après tout ce temps, tu me reviens avec de nouveau la peau d'un enfant perclus de douleurs. Qui avait bien pu déliter les milliers d'éclats de ton cœur que tu avais mis si longtemps à réunir, rebâtir et consolider. Qu'est-ce qui avait bien pu t'entailler si profondément, et aspirer tout en toi pour ne laisser plus qu'un immense vide ?
Tu es revenu un soir d'averse. Quand je t'ai ouvert la porte, j'ai découvert un petit garçon trempé, au visage mouillé de pluie et de larmes. Ton regard me hurlait ton désespoir et implorait le réconfort d'un refuge. Je t'ai laissé entrer comme si tu n'étais jamais parti. Je n'ai rien dit, rien demandé, attendant que ton cœur se délie de sa détresse pour qu'elle puisse finalement s'évaporer hors de toi-même. Cependant, j'attends toujours, et je finis par en souffrir également. Tu restes enfermé dans un silence de cristal et de larmes sèches et muettes, le regard perdu, voguant sur des flots lointains et solitaires. Seul le ciel nocturne semble te sortir de cette torpeur. Dès que tombe la nuit, tu sembles t'éveiller, mue par un sentiment de profonde quiétude et de délivrance. Et alors tu tournes ton regard vers l'infini avec les yeux d'un homme face à l'autel d'un dieu chéri. Ainsi des heures durant tes yeux semblent prier. Prier pour quelque chose là-haut éveillant en toi autant de joie que de chagrin, autant d'apaisement que de solitude.
Gaïa Allister, 25 janvier
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Prière à une étoile
RomanceOrion est rentré un soir d'averse et depuis sa mère ne le reconnait plus. Gaïa le sent abattu et inconsolable mais ne connait pas la source de son chagrin et le jeune homme ne lui confit rien. Un jour qu'elle s'assigne pour mission de ranger la cham...