Chapitre 35

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Éridan a froid, soudainement, un frisson le traverse et lui gèle le cœur. Comment en sont-ils arrivés là ? Il se passe la main sur le visage, en espérant reprendre ses esprits plus vite.

« Désolé, je sais pas ce qu'il m'a pris.

– T'excuse pas... »

Loïs est pâle, plus que d'habitude du moins. D'instinct, il détourne le regard.

Éridan gratte le sol de ses doigts. La terre s'insinue sous ses ongles. Il arrache les brins d'herbe aussi. Un par un. Frénétique. Incontrôlable. Finalement, il agrippe fermement une touffe et lève ses yeux vers son ami.

Il s'apprête à ouvrir la bouche, mais rien ne sort. Alors ses yeux rejoignent à nouveau le sol.

Il voudrait à nouveau s'excuser, mais il en est incapable. Il le sait, pendant une seconde, cette envie de tout arrêter dans les yeux de Loïs lui a renvoyé son propre mal. La mort est si attrayante parfois. Les gens qui partent semblent si paisibles. Il s'en rappelle, non, il n'a pas besoin de s'en rappeler, les images et sensations reviennent toutes seules. Cette envie de s'enfoncer dans l'eau, de n'entendre le monde que ténu et lointain, ne voir que la lumière à travers l'onde. Ne plus jamais remonter. Les boîtes de médicaments qui calment, et qui pourraient faire plus avec à peine plus qu'une gorgée. Le vide aussi, qui crie et appelle. Tant de sorties pour échapper au monde. Tant de solutions qui miroitent et qu'il a effleurées du doigt à chaque fois. Même aujourd'hui, il ne sait pourquoi il a résisté à la tentation. À la place, il a continué à vivre en pilote automatique. Personne ne savait que ses coussins étaient remplis de sel et de cris. Personne ne savait, personne ne sait et personne ne saura tant qu'il n'aura pas fait le pas de trop.

Éridan se rend compte qu'il parle, ou plutôt pense, au passé. Pourtant, il le sait, rien n'est si différent. Les médicaments sont toujours là, au-dessus de sa table de chevet, inutiles, mais là pour lui rappeler qu'il n'est jamais loin du gouffre. Il se sent si vide quand seules ses pensées l'accompagnent. Son cœur pèse si lourd tout le temps. Ses sourires lui font mal aux joues, un effort trop humain. Parfois, il se sent comme une ombre. Souvent, il aimerait que quelqu'un l'aide. Toujours, il prie pour que les moments pendant lesquels il ne se sent plus comme un poids en train couler demeurent éternels.

Mais rien n'est immuable.

Ses doigts pleins de terre sous les yeux, il sait ce que ça fait de vouloir crever. Il s'en veut pour ça. Il en veut à Loïs pour ça. Car encore une fois, ce sont des questions sans réponses qui lui sont lancées.

Pourquoi il se sent si misérable ? Pourquoi il est comme ça ?

La tristesse.

Pourquoi la tristesse ?

Il ne sait pas. Parce que son frère lui manque ? Ce n'est pas une réponse, il manque à tout le monde depuis déjà trop longtemps.

Pourquoi la tristesse ?

Parce que rien ni personne ne peut encore le faire se détourner d'elle ? C'est faux, il le sait. Tant de visages qu'il aime tournent dans son esprit. Rien que de penser à toutes ces personnes, l'attendrit.

Pourquoi la tristesse ?

Parce qu'il s'est refusé au bonheur ? Il a toujours voulu être heureux pourtant. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, il a toujours tenté de se persuader que tout allait bien.

Pourquoi la tristesse ?

Il n'a pas de réponse au final. Pourtant, même sous le filtre du rire, il se sent toujours triste comme s'il lui manquait quelque chose. Pourquoi est-il cassé, dysfonctionnel ? Qu'a-t-il fait pour que ce désespoir le nargue et ne le quitte jamais ?

Jusqu'à s'envolerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant