Chapitre 44

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L'herbe chatouille ses pieds et ses chevilles quand il avance au travers des emplacements déserts. La petite lampe à gaz brille dans la nuit comme le phare qui guide les marins. Éridan se sent comme eux et avance dans la pénombre à pas feutrés. Plus il se rapproche et plus les formes se découpent dans la nuit.

Comme Charlie, les filles ne sont pas encore revenues des douches. Seule la silhouette de Loïs perce les buissons. Elle projette des ombres chinoises sur la toile devenue écran de cinéma. Les chuchotements de son ami viennent jusqu'à lui. Sa tête, penchée en arrière, s'offre à la lueur diaphane des astres avares de lumière.

Parle-t-il aux étoiles ?

En s'approchant, il remarque que son ami tient son téléphone à l'oreille. Il se demande qui il peut bien appeler à une heure du matin passée. Il s'arrête dans son avancée, comme pour laisser une intimité à cet entretien nocturne.

Loïs avance et recule inconsciemment dans sa conversation. Il gratte le sol de son pied, nerveusement avant de s'arrêter et de reprendre de plus belle. Puis, un instant, il se tourne dans la direction d'Éridan. Ses yeux le traversent sans le voir, mais lui remarque immédiatement un large sourire illuminant son visage fatigué.

Le bonheur est contagieux.

Il se met à sourire à son tour sans vraiment comprendre pourquoi.

Si, il le sait. Il a le cœur plein de satisfaction et de chaleur. Il s'en rend compte à l'instant, il a l'impression que cela fait longtemps que Loïs n'a pas souri aussi sincèrement avant aujourd'hui. Lui aussi, il se sent léger, comme si un poids s'était décollé.

Le sentiment d'avoir fait quelque chose d'utile. Un acte significatif. Voir cette joie, ce calme imprimé et si naturel sur un visage qui pensait ne plus connaître ces expressions pures, Éridan trouve ce tableau magnifique.

Puis, dans cette contemplation, ses pensées reviennent à leur origine. À la douleur, comme si la joie ne pouvait subsister seule. Le visage d'Elliott s'impose, peut-être est-il modifié par les âges qui ont passé, par les yeux d'enfant qui l'ont tant admiré comme un héros. Mais la vraisemblance importe peu, c'est toujours ce même sentiment de nostalgie douloureuse qui fait trembler Éridan dans ces instants fugaces de mémoire.

As-tu souri comme ça jusqu'à la fin ?

Pas un bruit.

Souris-tu où tu es ?

Cette fois-ci, il n'attend pas de réponse et prend une grande inspiration pour refouler ce désagréable picotement au cœur. Sur ses paupières closes, le portrait flou de son frère danse encore. Ses peurs et ses pleurs se tapissent dans le noir, elles n'attendent que leur heure pour briller de leur lumière terrifiante.

Il expire enfin, repoussant dans la fraîcheur de la nuit mille poussières de négativité, elles s'envolent aux vents pour rejoindre les nuages et le ciel. Peut-être qu'elles sont recyclées quelque part dans les étoiles ?

Tout reste si douloureux quand le passé revient lui remuer les tripes, tout reste si douloureux, mais édulcoré dans les aléas de la vie. Les petites pointes de bonheur, le courage, et la certitude que l'existence n'est pas entièrement vaine. Si on ne vit pas pour soi, on peut vivre pour les autres. Voir les gens qui nous entourent, heureux ou moins malheureux.

Il y a une vie à vivre avant de rejoindre ceux qui ne sont déjà plus là. Éridan a un frisson, il se sent seul et perdu sur cette terre trop vaste pour les Hommes.

« Éridan ? »

Il lève les yeux vers son ami qui l'appelle au loin.

« Tu fais quoi dans le noir ?

Jusqu'à s'envolerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant