Dans la nuit noire, Loïs ouvre les yeux. À ses côtés, un ronflement se fait entendre. Ce bruit disgracieux le fait sourire. N'était-ce pas Charlie qui a juré ne faire aucun bruit en dormant ? Un peu plus loin, Éridan est également assoupi. Ils se sont couchés tard, hier. Après être retournés au lycée récupérer la voiture de Charlie, puis ramené les filles chez Ana, la nuit était déjà bien entamée quand ils ont atteint le pas de la porte. Ils ont tenté de rentrer avec discrétion, mais leurs rires continuaient de s'élever de temps à autre. Ils se sont ensuite installés dans la chambre, prolongeant ainsi la soirée encore un peu. Ils ont dû s'endormir en parlant, car entassé sur le matelas simple, la crise du logement se fait ressentir.
Loïs se tourne et tente de trouver une position confortable entre les corps de ses deux amis. Les minutes passent et ses yeux ne daignent pas se refermer. La fatigue l'a quitté. Alors avec toute la discrétion qu'il peut user, il s'extirpe du lit et quitte la chambre à pas de loup.
La maison est si calme et paisible. L'obscurité, à peine troublée par la lampe torche de son téléphone, lui paraît rassurante. L'ambiance est presque irréelle. Aucun bruit ne vient troubler la quiétude de la demeure. Parfois, le craquement du parquet le fait frissonner. Lentement, il traverse le couloir pour rejoindre la cuisine. Sous la porte, un filet de lumière se détache. Précautionneusement, il abaisse la poignée et pousse la porte.
Assise au bar de la cuisine, Lucile tourne sa tête précipitamment vers lui. En le reconnaissant, elle se détend et sourit. Encore à moitié ensommeillé, il le lui rend avant de se tourner vers le placard pour se servir un verre d'eau.
« Insomnie ? demande-t-il alors que ses yeux s'accrochent au fin ménisque ascendant contre son verre.
– Oui. Toi aussi, apparemment. »
Ils se taisent et écoutent les minutes passer. Loïs ignore l'heure qu'il est, mais à travers la fenêtre, seul le lampadaire au coin de la rue émet sa lumière jaune. Puis, son regard tombe sur sa sœur qui, les yeux dans le vague, joue avec le fond de lait de sa tasse. En l'observant ainsi accoudée au bar, il se rend compte que le temps les a éloignés. Le temps, mais peut-être la vie aussi. Sa sœur, dont il connaissait tous les secrets, lui est si secrète dans cette cuisine à la lumière tremblotante.
« Tu dors pas beaucoup en ce moment, nan ? »
Elle s'arrête de jouer avec le récipient, ses yeux croisent les siens alors qu'elle répond malicieusement :
« Oui. Toi aussi, apparemment. »
Il sourit et elle aussi. Rien que ce petit contact lui réchauffe le cœur.
Après avoir terminé son verre, il s'assoit en face d'elle. Le silence, comme l'obscurité, est rassurant ce soir.
« C'était bien votre fête ? demande-t-elle soudain.
– Super, je risque pas de l'oublier de sitôt !
– En tout cas, vous étiez encore en forme en rentrant, rit-elle.
– On t'a réveillé ?
– Pas vraiment, dans un état de semi-conscience, j'ai entendu trois rigolos monter les escaliers et je me suis rendormie.
– Pourtant, on a essayé d'être discrets, décrète-t-il, mi-désolé, mi-amusé.
– De toute manière, la discrétion ne fait pas partie de tes gênes... »
Ils rient doucement, complices. Quand leurs voix finissent par s'étioler dans la nuit noire, ils restent silencieux. Peut-être qu'ils n'ont plus rien à se dire finalement.
Peut-être qu'ils en ont trop à dire.
Le regard de Loïs se pose sur sa petite sœur, sa tête ébouriffée, tournée vers la fenêtre. Elle parait si fragile dans son tee-shirt trop grand. Elle est perdue quelque part entre la lune et les étoiles. Il dirige à son tour ses yeux vers le carreau de la cuisine, mais seul son reflet lui revient. Ils ont l'air si fatigués. Deux somnambules un peu trop lucides dans cette cuisine nocturne.
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Jusqu'à s'envoler
Teen FictionQuand la vie semble paisible, les douleurs se cachent derrière les sourires. Loïs et Éridan se partagent tout, les joies, les pleurs et les états d'âme. Cependant, reste ce secret. Un secret maintenant trop lourd pour Loïs. Un secret qu'il doit part...