Chapitre 5

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C'est avec les yeux encore gonflés de fatigue que les deux adolescents traversent le portail du lycée ce matin-là. La nuit passée, douce et calme, n'a été que le théâtre d'une tempête spirituelle. Un tumulte de pensées qui n'a pu être vaincu par le sommeil que tard dans la nuit.

Ensommeillés, Éridan et Loïs rejoignent leur coin habituel où attend déjà une jeune fille. Assise en tailleur, des écouteurs vissés dans les oreilles, elle se balance au rythme des basses qui la traversent. Les yeux fermés, comme isolée dans un recoin du monde, elle entraîne à chacun de ses mouvements les mèches ondulées qui s'échappent de sa coiffure. Lorsque les deux garçons s'installent à leur tour sous l'érable, l'australienne ouvre ses paupières dévoilant deux pupilles noisette. Elle leur sourit et s'extrait de son monde musical.

« Salut vous deux ! s'exclame-t-elle avant de froncer les sourcils avec inquiétude. Ça va, Loïs ? t'es tout pâle...

— C'est sa couleur naturelle, Ana. T'attendais quoi d'un blond aux yeux bleu ? plaisante Éridan.

— Non vraiment, il est blanc comme un linge », commente-t-elle.

Alors qu'elle s'approche de lui et pose une main sur son front pour prendre sa température, Éridan ne peut s'empêcher d'étouffer un rire en voyant le rouge monter aux joues de son ami. Heureusement pour Loïs, son pseudo examen médical est interrompu par l'arrivée d'une autre adolescente. De longs cheveux corbeau lui glissant dans le dos, elle se rapproche tranquillement en agitant la main.

Ana se détourne alors de lui pour saluer la nouvelle venue.

« T'inquiète pas, t'es plus du tout pâle avec tes joues rouges tomate », chuchote Éridan à Loïs en s'esclaffant.

Cette remarque ne le fait devenir que plus cramoisi tandis que la petite brune donne une bise à ses deux autres amis. Ses yeux, aussi noirs que sa chevelure, pétillent de malice derrière une fine monture de lunettes. Quand arrive le tour de Loïs, son sourire disparaît de ses lèvres roses. Elle lui demande, soucieuse :

« Ça va ? T'es tout rouge, tu as de la fièvre ? »

Il y a un silence. Mais cette fois-ci, Éridan ne parvient pas à se retenir devant son ami qui ouvre la bouche et la referme sans savoir quoi répondre. Il explose de rire sous le regard mi-surpris, mi-amusé des autres qui ne tardent pas à le rejoindre.

Qu'est-ce que l'insouciance est agréable, douce et légère comme une plume. Éridan se sent caressé par ce sentiment duveteux. Pour rien au monde il ne voudrait l'abandonner. Il aimerait tant pouvoir capturer ce moment comme l'on prend une photo. Pour se rappeler quand plus personne ne sera là pour l'aider à se remémorer. Il s'en rend compte maintenant, ses souvenirs heureux sont précieux. Précieux mais volatiles. Pareil à l'insouciance, au moindre coup de vent, ils peuvent s'envoler alors que rien ne peut les remplacer. Alors il s'efforce de retenir les moindres détails de cet instant. La brise dans ses cheveux, l'ombre de l'érable qui lui effleure la peau, l'herbe fraîche entre ses doigts, et son cœur, son cœur qui se réchauffe à chacun de ses rires, son cœur qui bat à l'unisson avec ceux de ses amis. Mais rien ne peut se conserver entièrement intact.

L'euphorie d'Éridan s'échappe en même temps que les détails qu'il essaie d'imprimer dans sa mémoire. Comme un souffle éparpille des grains de sable, il ne sait plus si le vent était frais entre ses doigts ou si l'herbe lui effleurait la peau. Mais finalement, il le retient, ce qu'il a voulu faire était vain. Tout ce qui demeure lors de ces instants, c'est ce sentiment si agréable qu'est le bonheur. Étrangement, il se sent un peu hors du temps. Il se voit rire mais son cœur ne rit plus vraiment.

Il est temps de revenir à la réalité. Le passé est un trésor, mais le présent est un plus beau cadeau.

« Pourquoi vous riez comme des fous ? s'exclame alors une voix masculine.

Jusqu'à s'envolerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant