Chapitre 2

190 40 50
                                    

Alors qu'une nouvelle semaine débute sous le soleil printanier, Éridan, inquiet, arrive au lycée. Durant tout le week-end, il a tenté de contacter son ami, sans jamais y parvenir. Remuant ses idées noires, il se dirige mécaniquement vers sa classe.

« Hey ! Tu ne me dis même plus bonjour ? »

Sans même se retourner, il reconnait la voix moqueuse de son ami. Celui-ci continue :

« Je ne suis parti qu'une semaine, je ne pensais pas que tu m'oublierais aussi facilement !

— Tu étais où ? » demande Éridan en se retournant. Sa voix est tranchante, la semaine passée a été trop éprouvante émotionnellement pour se laisser aller au soulagement.

« Excusez-moi, je crois que je me suis trompé de personne. Je ne m'attendais pas à parler au roi des glaces », sourit-il.

C'est la phrase de trop. Il le sait, son ami prend toujours tout à la légère et lui jamais assez. Pourtant, la barrière se brise. Il ne peut s'empêcher de déverser toute sa frustration devant son ami désemparé :

« Tu ne peux pas arrêter de plaisanter un moment ? On t'a cherché partout et on a essayé de t'appeler une centaine de fois ! J'ai passé la semaine à courir après ta sœur qui n'était même pas là. J'ai appelé la police et l'hôpital. Mais rien ! Silence radio !

— Désolé de vous avoir inquiétés... »

Loïs baisse les yeux pour éviter son regard. Éridan, haletant, se rend compte qu'il a blessé son ami. Encore en proie à cette colère injustifiée et trop forte pour un début de journée, il bredouille, confus :

« Pardon... Je... C'est juste que je n'ai pas arrêté de m'imaginer le pire... Je...

— T'excuse pas, je comprends. J'aurais dû donner des nouvelles.

— Non vraiment. Désolé, je m'énerve pour un rien en ce moment, c'est pas de ta faute. »

Un ange passe. Puis il reprend :

« Bon ! dis-moi, t'as pris des vacances anticipées ?

— Pas vraiment, sourit Loïs, c'est un peu long, on en reparle ce soir ?

— C'est grave ?

— T'inquiète pas. »

Puis la sonnerie retentit, laissant derrière elle un mauvais pressentiment à Éridan. Il n'est pas dupe, quelque chose ne tourne pas rond, son ami d'habitude franc, de ceux qui regardent les gens dans les yeux avec spontanéité ne fait qu'éviter tout contact. Comme si dans ses yeux, il cachait quelque chose.

Depuis quand Loïs est devenu un si mauvais menteur ? 

La journée se déroule sans accroc. Loïs est de retour, tout semble être revenu à la normale. Cependant, Éridan le trouve absent malgré son sourire et ses plaisanteries habituelles. Ce n'est sûrement que son imagination qui lui joue des tours, mais il n'arrive pas à se sortir sa discussion matinale de la tête. L'appréhension lui tord le ventre.

À la fin de la journée, les deux amis quittent le lycée ensemble. Éridan n'est plus qu'une boule de nerfs et un silence épais pèse sur eux. Chacun fermé sur ses pensées avance machinalement, comme dans une autre dimension. Il ne reste rien des rires et de la bonne humeur de la journée, elle semble n'être qu'une réminiscence lointaine. Au bout d'un certain temps, Éridan ne supporte plus ses propres pensées et s'arrête brusquement. Avant même de s'inquiéter de la réponse, il pose la question qui lui démange la langue :

« Qu'est-ce que tu voulais me dire ?

— J'avais oublié que tu avais une bonne mémoire, plaisante son acolyte sans grande conviction.

— Tu veux venir parler à la maison plutôt ? T'as pas l'air bien.

— Non, c'est mieux que je te le dise tout de suite, sinon je ne trouverais plus le courage.

— Si c'est ce que tu veux. Raconte-moi », répond-il, faisant taire l'appréhension qui grogne en lui. 

Loïs reste silencieux quelques secondes, il pèse le pour et le contre, comme il le fait toujours. Il voudrait rendre sa déclaration amusante ou lui donner une dimension théâtrale mais il en est incapable.

Ses yeux bleus rencontrent ceux de son ami, puis les évitent.

« Je vais mourir », souffle-t-il finalement.

La brise emporte ses mots dans le lointain. Il y a un silence. Éridan dévisage son ami comme si c'était la première fois qu'il le voyait. Hébété, son corps ne lui obéit plus. Il ne sait comment réagir, il ne fait rien. En face de lui, Loïs, voûté, baisse le regard. Le vent chasse un nuage et le soleil éblouit soudainement Éridan. Pendant cet instant où sa vue se trouble, il ne voit plus son ami, il le voit lui. Son éternel sourire, si rassurant et si douloureux. Une vision fugace. Puis, comme si ce moment était une erreur, un nuage revient cacher l'astre du jour.

Éridan écarquille les yeux comme pour retrouver ce visage une dernière fois. Ses mains tremblent, le vide qu'il tente de boucher depuis tant d'années se recreuse. Alors que sa respiration s'accélère, il sait que cette fois-ci, il ne parviendra pas à garder le contrôle. Malgré tout, dans un ultime effort, il tente de repousser cette marée montante. Mais les émotions gagnent toujours. La peur, la tristesse, la panique l'engloutissent avec brutalité. Sa vue se trouble, il se sent s'accroupir au sol tandis que chacune de ses cellules proteste, crie de désespoir. Il est noyé par ce reflux incompréhensible, en est brulé en même temps. Son corps ne comprend plus, il ne répond plus. Éridan se sent perdu dans son propre esprit. Il est en colère. En colère car il s'est encore laissé submerger. En colère car la vie lui pose encore une question trop douloureuse. En colère, mais impuissant. Pourquoi après huit ans, sont-ils revenus ? Alors qu'il avait réussi à les étouffer, pourquoi ses démons ne le quittent jamais ?

Sa poitrine lui fait terriblement mal.

L'air lui manque.

« Respire ! s'ordonne-t-il, arrête de te laisser faire ! »

Puis inspirations après expirations, le calme reprend chacun de ses membres.

Précautionneusement, il enferme chaque sentiment au fond de son cœur. Puis, se sentant hors de danger, il réouvre lentement ses paupières. Recroquevillé sur le trottoir, il tombe nez à nez avec Loïs le secouant comme pour le ramener de son côté. Cependant, Éridan a déjà expérimenté l'ironie impitoyable de la vie. Même si cette fois s'il est parvenu à revenir de l'enfer de ses pensées noires, il tremble rien qu'à penser à l'abîme qu'il cache en lui.

Son cœur bat, trop fort, trop rapidement. Mais il bat encore. Est-ce une raison pour continuer à se battre pour vivre ?

Éridan se relève lentement.

« Viens chez moi, je crois qu'on a besoin de calme. » déclare-t-il dans un état second.


Jusqu'à s'envolerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant