La semaine s'est écoulée à une vitesse folle. Loïs se sent un peu étourdi, comme si la Terre avait tourné trop vite ces derniers jours. Il observe Éridan qui marche à côté de lui. Ses yeux verts par terre et l'esprit déjà loin. Depuis qu'il sait, leur chemin en tête à tête sont devenus silencieux. Comme à chaque fois, ils ont essayé de combler le vide à coup de plaisanteries et de banalités, sans succès. Les silences sont parfois plus parlants, mais souvent plus inquiétants.
Voilà quatre jours qu'il voit Éridan réfléchir, hésiter à dire quelque chose puis se résigner. Loïs sait parfaitement les pensées de son ami, ce qu'il veut lui demander. Mais, à chaque fois, il détourne les yeux, feint l'ignorance. « Stupide et égoïste », lui souffle sa conscience. Il ne doute pas que la discussion ne pourra être ignorée indéfiniment mais autant qu'il le peut, il la repousse. Par facilité. Par peur.
Avant la semaine dernière, il était un lycéen ordinaire aux yeux de tous, son secret ne quittait pas sa maison. L'école était la bulle où il enfermait son bonheur et devenait celui qu'il voulait être. Un adolescent sans problème, normal. Il jouait son rôle à la perfection. « Rires, plaisanteries et désinvolture » était sa ligne de conduite. Mais aujourd'hui, tout est remis en question, bout après bout, son masque s'effrite, se désagrège et rien ne peut arrêter sa disparition. Pas même ses mains qui tentent de retenir les fragments et ramener les temps anciens. Peu à peu, il connaît la peur de découvrir ce que ce masque cache vraiment. Il se consume à l'idée de se briser en même temps que sa couverture. Alors il continue de s'esclaffer pour tout et pour rien, il continue de mimer la joie et l'insouciance et plus que jamais il continue d'éloigner la vérité.
Mais la réalité est un élastique qui ne revient que plus fort et plus vite à mesure qu'on l'étire. Aujourd'hui, il se l'est pris en pleine tête. Il soupire.
« C'est la réponse de la prépa qui te met dans un état pareil ? » demande Éridan avec hésitation.
Loïs n'est même pas surpris, son ami lit en lui comme dans un livre ouvert. Cependant, il n'est pas certain de vouloir en parler. Cette histoire de classe préparatoire est idiote et puérile. Encore un résultat malheureux de ses actes emplis d'un espoir malvenu.
« Oui... répond-il finalement.
— La réponse n'était pas positive ?
— Si, justement. »
Il se sent bête. Alors que tant d'étudiants ne peuvent obtenir leur premier choix pourtant important pour leur avenir, lui se désole d'avoir été accepté. Il sait que son ami le comprendra, mais cette honte de ce sentiment de tristesse illégitime l'enserre.
« Cette classe prépa, c'est la porte d'entrée vers mon rêve. La première étape pour devenir pilote de ligne. Je l'avais mis en premier vœux avec la certitude que la réponse serait négative, de toute façon. »
Il a un rire nerveux. Presque fou.
« À ce moment-là, j'aurais pu mettre une croix dessus... J'aurais mis une croix dessus... Mais là... Là ! Rien ne peut vraiment m'arrêter ! Rien à part cette maladie ! Cette putain d'ataxie de Friedreich qui compte me gâcher la vie jusqu'au bout ! »
Les derniers mots, il les a criés, hurlés parce qu'il a l'impression qu'il ne lui reste plus que ça. La frustration. Cette grosse boule qui lui tord les entrailles et remonte jusqu'à sa gorge. Toute cette colère qu'il retient depuis trop longtemps, il l'a crachée sur son ami, du moins en partie. Pourtant, ce qu'il ressent à l'instant ne ressemble en rien à du soulagement. En fait, il se sent vide, comme entraîné dans une profonde lassitude. Pourquoi continue-t-il de se battre ? Tout finit par le mener à cet état, à ce manque qui le ronge de l'intérieur. Cette sensation qui l'étouffe et qu'il ne peut pas taire. Non, sa vie n'a aucun sens, tout le ramène à ce mur infranchissable, à ce problème sans solution. Du moins, sans solution agréable ou acceptable.
Il sent les larmes rouler sur ses joues pâles, mais il ne ressent plus rien de vrai. Juste cette absence d'il ne sait quoi. Ce gouffre qui l'aspire dans les abysses de sa douleur. Un mal être immense se meut en lui, tellement grand qu'il déborde de son corps. Il n'essaie pas de le ravaler, paradoxalement, il n'y a plus de place en lui de toute manière.
Il lève la tête vers le ciel. Cette infinité si bleue, si belle, si inaccessible, comme ses rêves. Il aimerait avoir des ailes pour s'envoler et se libérer de ce poids qui le cloue au sol. Il aimerait être une goutte de pluie pour pouvoir s'évaporer et s'élever puis revenir à la Terre, jouir d'un voyage infini. Sans début, sans fin.
Mais il n'est rien de tout ça, juste cet adolescent malade qui commence à ne plus croire en rien. Qui s'est promis de ne pas pleurer, d'être fort, de n'être un fardeau pour personne et pourtant regarde le ciel en rêvant de fondre littéralement en larmes pour rejoindre les nuages.
Une main se pose sur son épaule.
Il tourne sa tête vers Éridan qui ne le regarde pas, sûrement pour lui épargner l'écœurante compassion qui déborde de ses yeux. Cependant, même en scrutant son profil fin, Loïs n'y voit pas de pitié, juste cette expression pensive, et ces prunelles qui ne regardent et ne voient rien.
Éridan ne détourne pas les yeux par gêne, plutôt par compréhension. Loïs le réalise à l'instant. Il le laisse pleurer à l'abri des regards car il sait que les regards, il ne les aime pas. Alors Loïs sourit faiblement, car cette main apposée sur épaule veut dire bien plus que tous les mots du monde. Il ne sait toujours pas ce qu'il éprouve vraiment, mais la chaleur du soutien, du réconfort, ralentit pour un temps les ténèbres qui se déversent en lui.
Il sèche ses larmes et expire lentement.
Le soleil brille toujours autant, le ciel est toujours aussi clair. La peur se tapit toujours au creux de son ventre, la colère aussi. Pourtant, Loïs se sent un peu mieux, juste assez pour continuer à avancer.
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Jusqu'à s'envoler
Teen FictionQuand la vie semble paisible, les douleurs se cachent derrière les sourires. Loïs et Éridan se partagent tout, les joies, les pleurs et les états d'âme. Cependant, reste ce secret. Un secret maintenant trop lourd pour Loïs. Un secret qu'il doit part...