Le Bersend, Savoie, le 6 juin 1943
Auguste
Ma sœur avance difficilement devant moi. Malgré son état et sa blessure encore fragile, elle a tenu à porter quelques sacs de vivres offerts par les Mareau. Nous marchons en sous-bois, Lucien, Nano et moi portant de lourdes caisses d'armes et de matériel sur nos épaules.
— On va jusqu'où comme ça ? demandé-je au chef par-dessus l'épaule de mon cousin.
— Il reste encore une petite centaine de mètres. Arrête de pleurnicher, on a déjà de la chance que la piste ait été un peu débroussaillée ! L'été, les ronces engloutissent tout, on ne peut plus du tout passer, me répond-il sans mâcher ses mots.
Après avoir marché pendant une petite dizaine de minutes au départ d'un hameau nommé « Le Bersend », nous empruntons un mince sentier, parsemé de racines apparentes. Perdu dans la contemplation des sommets autour de nous à peine éclairés par les premiers rayons du soleil, je marche en plein dans une touffe d'orties bien fraîches qui s'attaque à mes mollets. Je jure, et me baisse pour me gratter la jambe, manquant de basculer en avant à cause du poids de la caisse en bois ; c'est Lucien qui m'achève en me rentrant dedans, et je perds l'équilibre la tête la première dans ces plantes diaboliques. Je jure de plus belle et me redresse, le visage, le cou et les bras en feu. Derrière moi, Lucien Ingrid et Lilwenn se bidonnent, je leur lance un regard noir.
— Oui, pardon, c'est pas drôle. Vraiment pas drôle, pouffe Lucien avec un semblant de sérieux. En même temps c'est de bonne guerre, tu te marrais bien l'autre jour quand j'avais la tête sous le robinet.
— Ne t'inquiète pas Auguste, Chély aura sûrement quelque chose pour t'aider, mais fais attention avec la caisse, elle est remplie de grenades, me dit Nano en se retournant.
— Chély ?
— Le gars te dit que t'as des grenades sur le dos et c'est tout ce qui... Ouais, laisse tomber. Chély, c'est la maman-infirmière hyperactive du camp, me répond Lucien.
— En parlant du loup... sourit Nano.
Je me retourne, une main soutenant la caisse et l'autre me grattant le cou, et vois quelques mètres devant nous, une jeune fille d'à peu près mon âge émerger d'entre les buissons. Elle est très belle, avec des longs cheveux roux et bouclés qui cascadent jusqu'à son bassin et un léger débardeur blanc. En me rapprochant, je peux voir que ses traits fins sont parsemés de taches de rousseur. Elle lance joyeusement :
— Vous arrivez juste à temps ! Je suis en train de préparer le petit-déjeuner. Venez, on va déposer tout ça, dit-elle en nous invitant à la suivre d'un geste de la main.
— Il y a d'autres caisses à aller chercher, tu en charges Nohant et Loctudy ? demande Nano.
— Oui, on va voir ça, vous êtes venus en camion j'imagine.
— En effet. Je te présente donc Wilno, Orléans et Sablines, les enfants d'Irancy.
— Je suis enchantée de vous rencontrer, quel honneur dites-donc, les enfants d'Irancy. En même temps on ne peut pas se tromper, c'est fou ce que vous lui ressemblez, surtout toi Orléans ! Vous avez la même... dit-elle en indiquant du doigt sa mâchoire pour faire comprendre qu'elle parle de la tache de naissance de ma cadette.
Je ne saurais l'expliquer mais j'ai toujours eu du mal avec les gens qui faisaient remarquer à ma sœur sa différence, bien qu'elle-même n'en semble pas gênée. Je lève les yeux au ciel.
— Bon, assez parlé, je vais vous présenter les autres. Suivez-moi ! s'exclame la rousse.
Elle se retourne, décharge un peu Ingrid de ses paquets et nous guide à-travers la forêt. Quelques instants plus tard, nous distinguons à travers les branches des sapins le toit en ardoise d'un petit chalet.
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𝟏𝟗𝟒𝟒, 𝐑𝐞́𝐬𝐢𝐬𝐭𝐚𝐧𝐜𝐞
Historical FictionMai 1943, Marseille. La France traverse des heures sombres. Elle est déchirée entre les partisans de l'envahisseur Allemand et ceux qui luttent contre son oppression : la Résistance française. Au lendemain d'une nuit tragique, Ingrid Larmoyer, qui...