𝒞hapitre 5 ⋄ Auguste

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Vallon des Auffes, Marseille, le 18 mai 1943

Auguste

           Tout juste réveillé et la soirée d'hier encore fraîche dans mon esprit, je bondis hors de mon lit. J'enfile un vieux short, une chemise tachée que je ne prends pas la peine de boutonner et une paire d'espadrilles toute élimée. Dois-je réellement m'engager dans un maquis ? La vie de résistant n'est-elle pas trop dangereuse ? Mon avenir professionnel dans l'Armée n'est-il pas compromis d'un même coup ? Et puis, qu'est-ce que j'ai à y gagner ? Du coin de l'œil, je vois Lucien s'agiter dans son lit, alors je quitte la chambre sans me soucier du bruit que je fais en descendant.

Au milieu de la salle à manger, mon oncle est courbé au-dessus de son bol de café, ses yeux fatigués perdus dans le vide et Flore récure une casserole, le visage fermé. Je croque dans une pomme de la panière à fruits. Elle a un goût de terre. Immangeable. Je pousse la porte d'entrée, jette le fruit dans la flotte, descends du perron en pierre et pars déambuler dans notre quartier. Sans même m'en rendre compte, je finis par me retrouver devant la porte de mon ami Marius dont je croise le regard à travers la fenêtre de sa chambre qu'il ouvre rapidement, en se penchant pour me parler.

- Hé, Auguste ! Comment vas-tu ? Ça fait un bail qu'on ne s'est pas croisés. Dis-moi, ça va ?

Je hausse les épaules, lui exposant la serviette de bain pendue à mon bras. Marius est un ami de longue date, mais cette fois, je n'ai pas envie de parler. Il se dépêche de me rejoindre.

Nous passons par la rue des Cinq-Cents et l'impasse Richelieu avant de rejoindre la traverse de la Cascade et la Rue des Braves. Nous marchons dans les rues qui font face à l'océan jusqu'à l'Anse de Maldormé où nous descendons un peu en escaladant l'abrupte petite falaise qui mène à l'eau claire de ce mois de mai. Arrivés à notre rocher favori, nous plongeons sur plusieurs mètres après nous être dévêtus et je nage à en perdre haleine pour tout oublier.

Je me jette à corps perdu dans les rouleaux salés, qui heurtent ma peau. Je me débats dans l'eau pendant de longues minutes, le sel brûlant mes yeux et l'air me manquant. Rien à foutre. Rien ne m'atteint, seule la mer a un pouvoir sur moi, pas la souffrance, ni la haine. Je ne remarque qu'au bout de quelques minutes que Marius est loin derrière moi et qu'il s'essouffle. Abruti d'asthmatique.
Il semble désorienté et nage péniblement, je me demande un instant si je dois lui venir en aide, mais le vois se redresser dans les rouleaux pour savoir où je suis. Je le regarde, les sourcils froncés, et il recommence à nager dans ma direction. Je l'attends en faisant des roulades dans l'eau, et nous regagnons ensuite la terre ferme, à bout de souffle. Nous regardons la mer longtemps avant que je ne prenne la parole.

- Ma mère a décidé d'arrêter de prendre ses traitements contre la tuberculose. Elle est morte avant-hier.
- Je suis désolé, murmure-t-il en me regardant douloureusement, après un temps pour saisir l'information.
- Je la déteste.
- Je sais. Mais ne dis pas ça, tu le regretteras. Elle devait tellement t'aimer Auguste, comme la mienne le faisait. Un jour tu la rejoindras, tu pourras à nouveau la serrer dans tes bras, la tenir tout contre ton cœur qui ne battra plus. Et elle te dira qu'elle t'aimait.

Je reste de marbre. Je ne suis même pas triste, ni abattu. Mais en colère, oui, plus que jamais.
Marius a perdu sa mère il y a quelques années. A l'âge de douze ans, sa mère s'est tirée une balle sous ses yeux impuissants, et il vit seul avec son père depuis. Je sais qu'il a eu beaucoup de mal à l'accepter, il en a énormément voulu à sa mère de l'avoir abandonné avec un père irresponsable et alcoolique, mais avec qui, je crois, il a de bonnes relations. Cela nous fera un point commun en plus, une mère qui nous abandonne. D'ailleurs, puis-je toujours la considérer comme ma mère après un tel acte ? La société voudrait que ce soit le cas, et en mon for intérieur, moi aussi. Mais c'est loin d'être aussi simple, alors, j'ai décidé qu'à partir d'aujourd'hui, jamais plus je ne l'appellerai "Maman".

Je remarque un hématome noirâtre qui tache le flanc de mon meilleur ami ; il a un reste d'œil au beurre noir.

- Qu'est-ce que t'as fait ?
- J'me suis battu. Avec un gars de Thiers*.
- La routine, quoi.
- Voilà. Et toi ?
- Avec mon oncle. C'est un abruti.
- À propos de quoi ?
- Peu importe.

Nous restons un long moment ainsi, assis face à la mer sans un mot, avec le bruit des vagues pour seule compagnie. Le chemin du retour se fait en longeant le bord de mer par des ruelles qui n'ont de cesse de monter et descendre, dans le silence. Marius marche à mes côtés jusque chez moi où il embrasse Ingrid qui tressait machinalement des brindilles avec ses yeux de poisson mort, vautrée sur le banc devant les fenêtres du salon. Ils discutent un peu, je rentre dans la maison puis monte dans ma chambre avec un regard blasé à l'attention de Lilwenn, dont les yeux sont rougis et gonflés. Elle tient son ours en peluche serré contre elle comme si c'était tout ce qu'il lui restait.

Ingrid lui a dit pour Eugénie.

Je suis soulagé qu'elle l'ait fait à ma place, ç'aurait été trop à endurer, sans doute trop à assumer. Je passe mon chemin et rejoins la chambre que je partage avec Lucien pour m'échouer sur mon lit, le corps encore humide et salé, les cervicales en vrac.

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Bonsoir ! Je ne vais pas vous le cacher, ce chapitre me fait un peu honte, particulièrement en ce moment. Il est trop court mais sera complété un jour, je vous préviendrai. En attendant, j'aimerais beaucoup avoir vos retours sur Marius et Auguste ^^.

©

𝟏𝟗𝟒𝟒, 𝐑𝐞́𝐬𝐢𝐬𝐭𝐚𝐧𝐜𝐞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant