𝒞hapitre 17 ⋄ Auguste

71 14 29
                                    

Albertville, Savoie, le 2 juin 1943

Auguste

       Ingrid hurle, un bruit sourd contre la ferraille du véhicule, trois coups de feu et puis une accalmie avant qu'ils ne reprennent.

Les trois boches qui nous menaçaient se précipitent hors du camion et rejoignent l'officier qui tenait Ingrid alors que Lucien se rue derrière eux. Au moment où je lui hurle de ne pas sortir, il se jette dehors et s'écroule dès l'instant où son pied touche le sol.

Mon cœur s'emballe, l'adrénaline se répand à toute vitesse dans mes veines. Dans un geste brusque, je saisis la Petite par la taille et la cache derrière les caisses en bois. Je me glisse à ses côtés, mes mains tremblantes couvrant ses oreilles. Des balles criblent par dizaines la toile du camion, des hurlements s'élèvent partout et semblent se frayer un chemin jusqu'au plus mince de mes synapses. Lilwenn se blottit contre moi en hurlant elle aussi. Je suis pétrifié, comme incrusté dans la paroi en métal du camion, absolument incapable de faire quoi que ce soit.

En jetant un coup d'œil furtif par-dessus les caisses, je vois que les soldats ont à peine le temps de dégainer leurs armes que Nano, muni d'un pistolet mitrailleur, les abat sans aucune once de pitié. Ils basculent dans le fossé les uns après les autres, la peur accrochée au visage, le sang marbrant déjà leurs costumes décorés.

Une fois son chargeur vidé, Nano jette son arme à terre et je l'entends jurer.

— Auguste ! Viens m'aider ! Maintenant !

Le ton alarmé de Nano me sort instantanément de ma torpeur, je me précipite par-dessus les caisses en bois et réprime un haut-le-cœur en voyant Lucien, étendu sur le sol en gémissant, une tache rouge s'étendant de plus en plus autour de son épaule droite. Nano et moi le soulevons et l'allongeons sur le sol du camion, il me fourre dans les mains un petit revolver que je fixe, incrédule, avant de le glisser dans mon dos.

Pendant que mon chef traîne deux autres dépouilles de boches dans le fossé, je fais le tour du véhicule en hurlant le nom d'Ingrid, qui semble s'être évaporée. Le sang bat à tout rompre dans mes artères. Mais où est-elle bordel ? Je marche de plus en plus vite, mes yeux cherchent dans le moindre recoin du bord de la route pour tenter de la retrouver. Non, je ne peux pas la perdre elle aussi ! Par réflexe, je jette un œil dans le fossé et j'aperçois quelques mèches blondes dépasser des cadavres. Mon cœur rate un battement. Merde ! Que s'est-il passé ?

Je descends en trombe et soulève les corps pour enfin trouver celui de ma sœur. Je la soulève, en fermant les yeux sur tout le sang qui dégouline entre mes doigts et que j'espère ne pas être le sien. Un pan de sa chemise est déchirée, laissant entrevoir la peau claire de son ventre striée de liquide vermillon. Je la serre un peu plus fort dans mes bras, toujours inconsciente.

Soudain, un boche semble revenir à la vie et agrippe son bras qui pendait dans le vide. Je la tire plus fort pour la dégager du soldat, mais il fait preuve d'une poigne de fer et au moment où il plie le coude pour empoigner son arme de service, je n'hésite pas une seule seconde et dégaine le revolver de Nano pour lui loger une balle en pleine tête.

Il y a un instant de flottement, pendant lequel je me demande si le trou sur son front est bien réel, si je l'ai bien eu, puis il retombe lourdement parmi les siens. Je n'arrive pas à détacher mon regard de l'homme que je viens de tuer. Furtivement, la pensée de ma mère fait irruption dans mon esprit. L'aurait-elle tué, cet homme que la mort épiait déjà ? Aurait-elle affronté son regard éteint comme je viens de le faire ? Aurait-elle eu des remords ? Se serait-elle pardonnée ?

Sans plus réfléchir, craignant l'arrivée de renforts où d'une patrouille, je me précipite pour remonter Ingrid du fond du fossé et l'allonger à côté de Lucien, dont l'état ne fait que s'aggraver, de minutes en minutes. Nano claque sa portière et démarre dans un crissement de pneus.

𝟏𝟗𝟒𝟒, 𝐑𝐞́𝐬𝐢𝐬𝐭𝐚𝐧𝐜𝐞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant