𝒫rologue

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Une balle siffle près de son oreille, tout près, presque assez pour lui érafler la tempe. La jeune femme se lève, braque son arme et tire à son tour. La cartouche va se ficher en plein centre du soldat qui l'avait dans sa ligne de mire. Elle se laisse glisser le long d'un muret en pierre, son souffle saccadé fumant dans la brise glaciale de l'hiver savoyard. L'homme hurle, elle se mord la joue de regret, mais serre plus encore son fusil entre ses mains gantées. L'empathie ne doit pas étouffer le devoir.

Ses prunelles bleues se perdent dans l'analyse de l'immense fort carré qui se dresse devant elle, avec ses murs en béton couverts d'une épaisse couche de neige, ses douves meurtrières et ses lourdes grilles qui dissuaderaient quiconque d'y entrer ou d'en sortir. Quiconque, sauf elle.

Au loin, un bruit d'explosion retentit : c'est son signal. La soldate se lève alors avec précaution, évalue le danger en plissant les yeux pour tenter de voir à-travers la tempête hivernale puis se lance dans une course effrénée à travers les sapins. Un tireur d'élite allié est derrière elle, prêt à la couvrir, tandis qu'un autre, ennemi, est peut-être prêt à l'abattre. Son regard ne se détache pas de sa cible, un pan de mur déjà endommagé que son équipe souhaite dynamiter pour créer une brèche par laquelle se faufiler. Avant qu'elle n'ait pu le rejoindre, et contre toute attente, son frère émerge d'une trappe sauvage creusée sous un tas de bois pour lui faire de grands signes. Il hurle. Sa radio grésille.

— ...pas...core...rentrés...bâ...iment. En... tente ... dir... ctives...

La jeune femme contourne le corps du militaire qu'elle a tué une poignée de secondes auparavant et avance rapidement entre les arbres, le dos courbé, les jambes pliées s'enfonçant dans la poudreuse. Elle atteint enfin la trappe et son frère, ses mèches blondes et son bonnet en laine épaisse parsemés de flocons.

— Y'a un passage, là ! Faut qu'on tente. J'attends tes ordres !

Leurs deux paires d'yeux cernés se perdent dans l'observation du bâtiment central à plus d'une centaine de mètres. La combattante hésite. Peut-être que ce tunnel est le chemin vers la victoire ou peut-être qu'il est connu des soldats qui contrôlent le lieu. Elle doit choisir vite, sinon elle prend le risque de perdre des hommes qui attendent dissimulés dans la forêt et sans doute transits de froid.

— On entre. Préviens les autres, tranche-t-elle sans une once de doute dans la voix.

L'homme sort pour capter le signal radio et revient accompagné de trois militaires aux visages rougis par le froid dont un jeune adolescent qui flotte dans son treillis délavé, armé jusqu'aux dents. La partisane allume sa lampe torche et éclaire le conduit. Elle tremble sans vraiment savoir laquelle de la neige ou de l'inquiétude en est à l'origine.

Les soldats avancent vite dans le souterrain, mais sont rapidement rejoints par d'autres membres du commando. Au bout de plusieurs centaines de mètres de marche tendue, durant lesquelles ils sont contraints à ramper et à se traîner dans une boue fangeuse à-demi gelée, la jeune femme aperçoit une fine raie de lumière filtrer dans les interstices d'un épais panneau en acier.  Comme pour se donner du courage, elle se retourne vers ses alliés dont les globes oculaires luisent dans la semi-obscurité, ne sachant pas ce qu'elle pourrait trouver derrière la chappe en fer.

La combattante sait que ce tunnel n'était pas connu de leur service malgré les espions envoyés en mission, mais, poussée par l'attente de ses camarades qui l'urgent d'agir, elle se ressaisit et gravit quelques barreaux qui grincent sous son poids. Ils sont rouillés, signe qu'ils doivent être ici depuis un certain temps. Un de leurs informateurs aurait-il tu l'existence du passage ? Elle se concentre, musèle l'angoisse qui lui tord les boyaux et soulève la trappe, poussée par une bouffée d'adrénaline.

𝟏𝟗𝟒𝟒, 𝐑𝐞́𝐬𝐢𝐬𝐭𝐚𝐧𝐜𝐞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant