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Antonin semble avoir repris de l'énergie. C'est un changement presque imperceptible, mais nous sommes assez proches pour que je remarque la moindre modification de son comportement. Enfin, je devrais arrêter de dire que je connais mon meilleur pote par cœur et que je sais le décrypter comme un livre ouvert. Durant toutes ces années je n'ai pas une seule fois soupçonné qu'il puisse être gay, je ne suis donc pas aussi doué que je le pense. Pour ce qui est de son regain d'énergie, j'imagine que c'est parce que nous avons enfin pu discuter de ce sujet. Je n'ose pas penser au poids qu'il a dû porter, à essayer de cacher sa véritable nature, surtout devant moi. L'espace d'un instant je lui en ai voulu de ne pas me l'avoir dit plus tôt, mais finalement il faut que je me mette dans sa peau et là, évidemment, je me rends compte que ce n'est pas si simple. Je crois que j'aurais agi exactement comme lui. Si j'avais été gay, je n'aurais pas non plus réussi à le lui dire.

– On fait une pause ?

Antonin travaille très sérieusement sur sa formation. Sans doute parce que je suis là pour surveiller. Quand on est à deux, on a beaucoup moins tendance à procrastiner. Et moi, pour passer le temps, je me suis mis à écrire. C'est une sorte de libération. C'est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps sans jamais oser. Nous nous installons à la table de la cuisine. Quand on vit dans un appartement en permanence, il faut quand même garder un rythme, séparer les activités, pour ne pas tout confondre, pour ne pas devenir dingue.

– Tu fais quoi pendant que je suis ma formation ?

– J'écris.

– Sur quoi ?

– J'ai plein d'idées qui me traversent la tête. Pour l'instant j'écris juste ce qui vient, ça n'a encore l'air de rien.

– Je pensais que tu passais ton temps sur des sites de rencontres.

– Dans ce domaine, je fais une longue pause. Les résultats sont assez décevants.

– Ouais, je sais. Sur leur profil les gens ont toujours l'air parfaits. Ils savent écrire de belles choses, se présentent sous leur meilleur jour. Et puis vient la rencontre dans la vie réelle.

– Tu as souvent été déçu ?

– En fait, le passage à la réalité n'a jamais rien donné. Mais je suis aussi un cas à part.

– Comment ça ?

– Les mecs veulent rapidement coucher. Et moi, à part une fellation, je ne veux rien faire d'autre, je ne me sens pas encore prêt. Et ça, apparemment, c'est insupportable, il faut absolument tout faire. Parce que bon, dans le monde virtuel ils cherchent l'amour, dans le réel c'est surtout le sexe qui les intéresse.

Ce n'est pas très différent de mes expériences. Mais pourquoi y aurait-il une différence ?

– Mais toi, Julien, tu as déjà eu des belles histoires. T'as jamais eu envie de rappeler une de tes ex ?

– Bof, ça s'est toujours mal fini.

– Pourquoi ?

– Je ne sais pas trop. J'essaie de ne pas analyser.

– Bah justement, il faudrait peut-être faire le point pour savoir ce qui cloche.

– Mes relations finissent toujours en dispute.

– Sur un sujet particulier ? Genre la vaisselle, le ménage, des trucs à la con qui peuvent pourrir un couple ?

– Non, c'est plus sérieux que ça.

J'avoue en avoir un peu marre des confidences. On a sans doute plus discuté ces dernières heures que durant toutes ces années d'amitié. Parce qu'au final, même si nous sommes proches, même si nous avons quasiment toujours été ensemble, à y regarder de près nous n'avons jamais pris le temps de trop nous épancher sur les sentiments.

Refaire surfaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant