Raconte-moi une histoire

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Gris. 

Tel était le mot qui définissait le mieux cet endroit morne et vide qu'était la large plaine qui s'étendait jusqu'à la cité de Nécropolis. Gris. Morne. Vide. Mort. Quels meilleurs pour pour définir les Limbes ? Cet endroit que tous les mortels s'évertuent à fuir, le repoussant aussi loin qu'ils le peuvent, sans parvenir à y échapper car là est leur seule destinée. Leur seule certitude. Dés l'instant où ils poussent leur premier cri en sortant du ventre de leur mère, ils sont fixés sur cette certitude. Un jour, ils mourront. Des plus riches aux plus lésés. Des plus puissants aux plus faibles. Tous, ils mourront. Dans leur lit, entouré de leurs proches, sur un champ de bataille, sur le trône, à une table,... Peu importe où, quand, comment, par qui et pour quoi. Ils mourront. 

Illydane mourra. 

Illydane, cet être monstrueux assit sur une roche noire, mourra. Depuis son premier cri en sortant du ventre de sa mère, Lilith, il y a trois millénaires, il le sait. Il va mourir. S'en est-il inquiété ? Oui. Alors qu'il rampait dans la boue de Duros après l'assaut de la Cité-Sans-Nom lors de la Deuxième Guerre Sainte. Alors qu'il se relevait, face à Raz'Lak, après avoir été nommé Dévoreur d'Âmes, croisant le regard de Lilith qu'il crut, pendant une brève seconde, empli d'autre chose que de l'indifférence. Quand il s'acharna sur le corps sans vie de Méphisto, hurlant encore et encore le nom de l'Ange aimée, au bord de la folie, avant que Raz'Lak ne lui pose une main ferme et chaleureuse, la main d'un père, sur l'épaule en murmurant d'une vois profondément humaine " C'est fini. " Quand méditait au bord des rivières de laves du Kroomerraa, au sens profond de sa vie, alors que les années et décennies défilaient au-dehors. Oui, il allait mourir. Peu important quand, comment, par quoi, pour quoi. L'éventualité de sa mort n'allait plus jamais occupé ses pensées, car elle ne ferait que lui imposer des chaînes, d'horribles chaînes qui le ralentiraient. Et puis il mourrait, réellement. Alors cette simple fatalité, il la rangeait dans une partie de son esprit complexe et désorganisé, semblable à un torrent de feu en plein déchaînement, et n'y songeait plus. 

Seulement, lorsque vous vous trouvez au cœur des Limbes, cette question s'impose presque naturellement à vous. Et une nouvelle question vint même s'y ajouter. Et lui ? Où irait-il après sa mort ? Il n'avait jamais croisé l'âme d'un Démon au sein de Nécropolis et n'avaitjamais pu pénétré dans le Denëm ni au sein des Cieux de Baishun. Peut-être disparaissaient-ils, tout simplement ? Là était peut-être le prix de leur éternité ? Illydane était né autour de l'an 2700 avant la construction d'Aldora, il n'était même pas sûr de la date exacte. Le temps avait toujours paru différent pour lui. Les périodes de vide, de creux, s'étiraient inlassablement tandis que les périodes réellement fortes passaient comme une seconde, brève et fugace. Les cinq siècles de Guerre Sainte avaient meurtri sa peau et son esprit, mais ils étaient passé si rapidement... Les sept siècles passés avec Myriam étaient passés comme une année, il n'avait même pas eut le loisir de s'en rendre compte... Et aujourd'hui, 749 ans après la construction d'Aldora, il se sentait vieux, fatigué. Quel était donc l'intérêt réel de l'éternité si elle ne servait qu'à faire mourir de lassitude les Démons ? 

-Je ne vous ai jamais vu ici. 

Ouvrant ses iris de feu, Illydane pointa son regard sur la source du bruit. Il s'agissait d'une jeune fille, d'une quinzaine d'années. Elle portait une armure ensanglantée  sur les bras et les jambes et une épée au côté, brisée en deux. Son torse était totalement ouvert, laissant voir sa peau profondément meurtrie et des cicatrices qui ne laissaient aucun doute sur la cause de sa mort. Elle avait été torturé jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ses cheveux roux, très brillants, retombaient en cascade sur ses épaules d'un blanc laiteux, ses yeux d'un bleu très vif avaient encore l'éclat de la jeunesse en eux. 

Illydane, qui était assit sur un rocher, se déplia tel un chat. Les rochers qui lévitaient autour de lui retombèrent dans un fracas, qui ne fut guère sursauter la jeune fille. Le Démon faisait un mètre de plus qu'elle mais la jeune guerrière ne semblait pas effrayée. 

-En effet, tu ne me connais pas petite effrontée. Et je ne te connais pas. 

La jeune fille haussa les épaule, comme si ça ne l'intéressait pas vraiment. 

-On me connaissait à mon époque. On m'appelait "Petite Guerrière". Puis, quand je suis morte, ils m'ont appelée "L'Innocente." 

-Et comment es-tu morte, Petite Guerrière ? Demanda Illydane en dressant un sourcil. 

La jeune fille rougit légèrement en entendant le Démon la nommer par ce surnom qui devait la rendre si fière à l'époque où elle parcourait sa maison, portant cette armure avec fierté. 

-C'est mon oncle qui m'a tuée. Il en voulait à mon grand-père, qui lui avait refusé quelque chose. Et il s'est vengé. Mon père et mon grand-frère son mort avec moi. Puis, ma grande sœur nous a vengés en détruisant totalement la famille de mon oncle et leur domaine. C'est là qu'ils m'on trouvée, torturée... Je suis heureuse de ne plus dormir. Sinon, j'en ferais des cauchemars...

Le Démon ne fit aucun commentaire pendant quelques secondes, observant silencieusement la jeune fille. Cette histoire lui rappelait quelque chose et il commençait à comprendre qui il avait en face de lui. Mais pourquoi n'était-elle pas montée aux Cieux de Baishun ? Pourquoi n'était-elle pas retournée voir les siens, morts depuis près de quatre siècles ? 

-Et que fais-tu ici, Petite Guerrière ? Pourquoi ne cherche-tu pas à partir ? 

Ce fut au tour de la jeune fille d'être muette pendant quelques secondes. Elle regarda Illydane, les yeux ébahis, avant de froncer les sourcils et de regarder le vide, comme si la question, l'hypothèse d'un ailleurs ne lui était jamais venue auparavant. 

-Je... Je ne sais pas. Parce que... Je ne visualises pas d'ailleurs. Rien que les Grises Landes. Ma sœur m'en parlait, alors qu'elle me faisait sauter sur ses genoux dans ma chambre...

Illydane hocha la tête, silencieux, avant de s'asseoir. Il était au même niveau que la jeune file, la regardant désormais dans les yeux. Il saisit les mains froides de la jeune femme, qui écarquilla les yeux en le sentant la toucher. Illydane, lui, avait comprit. 

-Raconte-moi ton histoire, Jenna. 

Une larme roula sur la joue de la jeune fille, une larme vermeille, comme si elle avait été imprégnée d'un saphir. 

-Je suis née au Palais Impérial. Ma mère est Alyssia et mon père Edward. Quand je suis née, c'était mon grand-père sur le trône, Asfer le Troisième. J'ai deux sœurs. Morgane et Méléna. Et Félicien, mon frère. Il était marié à Myrianne. J'étais jalouse de Myrianne au début, elle était si jolie et si gentille que Félicien restait tout le temps avec elle... Elle essayait d'être gentille avec moi, mais je restais une vraie peste avec elle. J'étais réellement méchante. Et puis Félicien m'a dit qu'il m'aimait tout autant qu'il l'aimait elle, mais que je devais laisser ma colère sur le côté. Alors je l'ai écouté et j'ai aimé Myrianne aussi. Notre famille était jolie. Morgane était mariée à Maxime en plus ! Ils étaient si beaux ensemble ! Et puis... 

-Non, la coupa le Démon, qui la regardait droit dans les yeux. N'en parle pas. L'Eclipse n'a jamais eu lieu. 

-Pourquoi ? Demanda-t-elle entre deux larmes de rubis. 

-Parce qu'elle te maintient ici. C'est ta peine, ta colère, qui te maintiennent entre ces brumes. Ferme les yeux. Tu es dans le Palais Impérial ! Dans la salle du trône, tu la vois ? 

La jeune fille ferma les yeux, fronçant les sourcils comme si cela lui demandait un douloureux effort. Mais après quelques minutes, ou heures, elle finit par hocher la tête. 

-Bien, ajouta le Démon. Tu vois les vitraux, le trône ! C'est ton grand-père dessus. Ses longs cheveux blonds, ses yeux gris, l'épée légendaire sur ses genoux. Et à côté de lui, c'est Julia, ta maman ! Dans sa robe blanche, ses yeux d'un  bleu semblable aux tiens ! Et derrière toi ? C'est tes sœurs, ton frère. Morgane, dans sa robe rose pâle au bras e Maxime qui porte toujours cette barbe que tu adores tirer. Félicien et Myrianne, main dans la main, et Méléna ta jumelle, dans son armure blanche. Le Soleil et la Lune que vous vous appeliez, tu t'en souviens ? 

-Je m'en souviens, déclara la jeune fille alors qu'une unique larme de cristal roulait sur ses joues. 

-Alors, qu'est-ce que tu attends ? Rejoins-les. 

Illydane referma les yeux en pressant la main de la jeune fille avant de les rouvrir pour voir qu'elle semblait avoir disparut, dans un soupire de plénitude. Elle était partie, loin, très loin. 

Se relevant, Illydane observa la cité de Nécropolis qui se déroulait sous ses yeux, sentant un chatouillement sur sa joue.

 Il y porta une main, et sourit en voyant qu'une unique perle de cristal s'y trouvait, humide et froide. 


 

Chroniques d'AvalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant