Chroniques d'Avalon

Du sang sur les pierres

La lune dominait déjà la ville d'Aldora, inondant le maelström de rues de sa lueur d'argent, rares étaient les maisons encore illuminées à cette heure si tardive. Cependant, proche du centre de la ville millénaire, une grande maison semble encore animée malgré la nuit déjà bien avancée. Dans ce bâtiment d'une taille plus que respectable, une réception se tient depuis plusieurs heures déjà. Le gratin, la haute noblesse d'Aldora et même de l'Empire Asferien se tient entre ces murs, fière de son statut, de son sang noble et pur, loin des misères qui affligent les pauvres gens du dehors, subissant les conséquences nombreuses de la Guerre Sainte qui, aujourd'hui encore, créent famines et désastres.

Parmi ces têtes bien connues, drapées de soies et d'or, Lord d'Avalon fait presque tâche. Son visage exprime une profonde lassitude, une certaine distance avec tout ce qui l'entoure. Il est clair qu'il donnerait n'importe quoi pour être à un autre endroit que cette fichue réception, être ailleurs qu'entre ces gens qui ont tout mais qu'il n'envie pour rien. Malheureusement, endosser le rôle d'un noble d'Aldora entraîne des conséquences qui, bien que désagréables, ne sont pas dispensables.

Isolé, longeant les murs de marbre de la résidence, Lord d'Avalon inspecte silencieusement les visages de nobles présents. Certains, à l'instar d'Ulérian Vaagt sont de réelles légendes vivantes. D'autres, comme les membres de la famille Leeson, sont parvenus à saisir une opportunité dans le malheur de la Guerre Sainte afin de s'élever au dessus des autres et de prouver sa grandeur. Lord d'Avalon respectait cela. Le désir de se sentir supérieur, de se sentir grand, de se sentir puissant et admiré... Fut un temps... Il avait presque aspiré à cela. S'élever, grandir, croître en se servant des autres comme d'un appuis... Il comprenait cette envie. Aujourd'hui, il était destiné à stagner, ne pas évoluer. 

-Lord d'Avalon ! Chassez ces sombres fantômes de vos yeux, vous allez dépérir sur place ! Vous n'êtes pas assez vieux que pour vous laisser aller à de telles absences !

C'était le vieil Ulérian Vaagt, Empereur Régent et sans doutes le plus puissant des hommes présents dans cette pièce, qui venait de s'adresser en ces termes. Lord d'Avalon ne savait pas réellement quoi penser de lui. Il avait une assurance et une manière de parler très étrange, comme si toute situation était une source d'observation, une nouvelle découverte propre à satisfaire une curiosité insatiable. Mais il était également bienveillant, ambitieux et imbu de lui-même, comme tout bon homme politique d'Aldora.
Lord d'Avalon inclina légèrement la tête devant l'Empereur régent en signe de respect, le respect qui était dû à un homme de cette trempe.

-Bien sûr que non Empereur Régent, je suis encore dans la fleur de l'âge. Je ne faisais que songer à ma patrie, à mon peuple. Ils me manquent à certains moments...

Ulérian hocha la tête, semblant étrangement comprendre ce que Lord d'Avalon voulait dire.

-Pour quelle raison avez-vous quitté votre lointaine contrée Lord d'Avalon ? S'enquit-il d'un ton inquisiteur.  Votre nom n'a rien d'étranger pourtant. La famille d'Avalon est une ancienne famille originaire d'Aldora, aujourd'hui disparue... Vous avez reprit le nom en même temps que leur demeure, en signe de respect, je crois ? 

Lord d'Avalo sourit brièvement  hocha la tête et saisit une flûte de champagne qui valait sans doutes plus cher que la maison d'un paysan cinq cent mètres plus loin, avant de répondre d'un ton hésitant.

-Je ne m'y sentais plus chez moi Excellence. Certains événements m'ont poussés à quitter mes frères et sœurs, ma famille,... Je ne regrette pas mes actes passés mais j'y repense avec nostalgie. Lorsque je suis venu ici, j'ai eu envie de changer de nom et de vie...  Je subodore que vous voyez de quoi je parle Excellence ?

-D'une certaine façon, oui, répondit l'Empereur de manière évasive avant de tourner la tête vers son fils qui discutait avec une jeune femme en armure, Alexia Leeson. Le vieil homme salua alors Lord d'Avalon, retournant aux festivités, laissant l'homme, un verre à la main, regardant tranquillement les nobles présents, sans prononcer un mot de plus.