Jour 2 : Promets-le.

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Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair-obscur le singulier client qui l'attendait. Le colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l'être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilité n'aurait peut-être pas été un sujet d'étonnement, si elle n'eut complété le spectacle surnaturel que présentait l'ensemble]e du personnage. Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d'une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage pale, livide, et en lame de couteau, s'il est permis d'emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L'ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu'un homme d'imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre.
Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l'absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s'accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l'idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu'aucune parole humaine ne pourrait exprimer. Mais un observateur, et surtout un avoué, aurait trouvé de plus en cet homme foudroyé les signes d'une douleur profonde, les indices d'une misère qui avait dégradé ce visage, comme les gouttes d'eau tombées du ciel sur un beau marbre l'ont à la longue défiguré. Un médecin, un auteur, un magistrat eussent pressenti tout un drame à l'aspect de cette sublime horreur dont le moindre mérite était de ressembler à ces fantaisies que les peintres s'amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis.

[ Note d'auteur c'est le réel passage du livre " le Colonel Chabert " de Balzac ]

-Que fais-tu ?

Je relève le regard vers mon petit ami à présent penché au-dessus de moi.

-M : Je lis !

-T : Et que lis-tu ?

-M : Le Colonel Chabert, de Balzac. Tu connais ?

-T : Absolument pas, de quoi ça parle ?

-M : Dur a dire pour l'instant, je te ferai le résumé quand ce sera fini ? Où tu pourras même le lire !

-T : Ouaip ! Sauf si ça parle d'amour constamment.

-M : C'est pas la princesse de Clèves Darling, c'est une histoire sur un cavalier au temps de Napoléon. On le croyait mort et pouf il réapparaît.

-T : Et ?

-M : Et..j'ai pas fini !

-T : Je suis curieux !

-M : La j'avais la description du personnage.

-T : Il est comment ?

Je le fixe sans répondre et place mon marque page. Il soupire, attrape le livre et le repose avant de me jeter sur le canapé pour m'assaillir de chatouille.

-M : Hey ! Non !!!

-T : Dis moi !

-M : Tu auras qu'à le lire !

Il soupire et se laisse tomber à côté de moi, on fixe le plafond un long moment. L'un à côté de l'autre. C'est lorsque sa main attrape la mienne que je remarque que j'avais repris à me gratter l'avant bras. Hostile à moi-même.

-T : Tu as pris tes médicaments ?

-M : Oui.

-T : Une crise arrive ?

-M : Non..la dernière était ce matin justement la c'est juste..un symptôme d'après crise.

Il noue nos mains, je les lève en hauteur, j'observe le soleil caresser nos peau et les faire briller.

-M : Théo ?

-T : Mm ?

-M : Je peux te demander de me faire une promesse ?

-T : Mm.

-M : Mon petit ami devient un ours ?

-T : Tss ! Dis la !

-M : Ne fume pas le temps que je n'ai pas ouvert les yeux, je veux être sûr que ta santé ira bien, que tu prendras un minimum soin de toi. Et je te connais, lorsque tu es triste, nerveux, en colère, stressé ou tout autre émotions que je pense que tu ressentiras tu fumes beaucoup plus. J'ai aucune envie de te voir mourir d'un cancer du poumon.

Un silence s'abat, il n'est ni assourdissant ni pesant. Il me calme, me repose. Je blottis mon visage contre son cœur et écoutai le battement régulier.

-T : D'accord.

-M : Promets le.

-T : Je te le promets Charlie. Mais à toi de me faire une promesse.

Je me tais, je sais ce qu'il va dire. Serais-je capable de le lui promettre ? Ça ne dépend pas entièrement de moi…

-T : J'ai fait des recherches, tu peux survivre..fais en sorte de le faire..bats toi. Si tu es dans le coma ou que sais-je bats toi je t'en prie.

Je baisse les yeux sur nos mains, je les fixe. Entremêlés, il caresse doucement ma paume. Je ramène sa main a mon visage et l'embrasse lentement.

-M : D'accord.

-T : Promets le.

-M : Je te le promets Théodore.

Il sourit, me rapproche un peu de lui et m'enlace. On continue de fixer ce plafond sans intérêt mais il aide à se plonger dans nos pensées.

-M : Il faudrait les constellations.

-T : Pour les soirs d'hiver où il pleut, et qu'elles s'illuminent pour ne pas avoir besoin de lumière dans la pièce.

-M : Et des guirlandes dans la chambre pour une ambiance cosy.

-T : Je suis tout à fait d'accord.

Quel étrange personnage que le Colonel Chabert. L'immobilité d'une poupée de cire, un corps caverneux, une démence triste, une sublime horreur.
Est-ce la a quoi ressemble vraiment cet homme où est-ce Balzac qui en peint ce tableau. Comment peindrais Balzac pour Théodore ou même moi. Non..mieux, comment peindrais t'il notre histoire ? Un garçon qui n'as pas assez vécu, qui souhaitait s'empêcher encore plus de vivre et s'éloigner de toute raison de combattre. Un homme qui a un peu trop vécu, qui cesse de vivre au dépens de ses réels envie sans apporter d'importance à ses sentiments. Un couple, qui se bat malgré tout. Un oxymore de plus à son tableau, un tableau des plus tragiquement funeste. Une paradoxale ironie.

Silence AssourdissantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant