l'emprise des sens

Chapitre 22

Cassandre

La journée de la veille me grignote encore le cerveau, ce verre qui vient de me glisser des mains pour se briser sur le sol en mille morceaux en est la preuve. Bien que l'idée de rester sous ma couette m'a interpelé sournoisement toute la matinée, celle de mettre Paolo en mauvaise posture de part mon absence m'a fermement obligé à enfiler ma tenue. Mon erreur de débutante n'a d'ailleurs pas échappé à son œil avertit.

— Quelque chose ne va pas ma belle ? me demande-t-il en posant sa main sur mon épaule.

Je jette les débris de verre dans la poubelle et je prends une longue inspiration avant de lui faire face. Il me connaît depuis assez longtemps pour s'apercevoir que je ne suis pas dans mon état normal ces derniers jours. Son regard bienveillant me donne envie de me confier à lui, mais je m'abstiens. J'ai trop honte de qui je suis en ce moment. J'esquisse un léger sourire avant de lui répondre en fronçant le nez :

— Désolé ! Je ne suis pas très performante.

Je me mords la langue pour ne pas éclater en sanglots devant lui. Je me sens comme une cocotte minute sous pression qui va exploser d'un instant à l'autre. Je baisse les yeux, incapable de soutenir ce regard insistant qui tente de découvrir la raison de ma mine déconfite. D'un geste tendre, il pose son index sous mon menton pour me forcer à lever le visage.

— Qu'est-ce qui fait fuir ton si joli sourire ? C'est ce garçon avec qui tu es reparti l'autre soir ?

— Non ! répliqué-je aussitôt, les joues brûlantes. Ce n'est pas de la faute de Julian.

Mais en partie quand même ! je rajoute intérieurement.

Comment ne pas perdre le sourire alors que je l'ai repoussé sans explications valables ? Je gratifie Paolo d'un sourire confus. Que penserait-il de moi si je lui racontais de quelle façon je traite mes amis, au profit d'un homme arrogant et imbu de sa personne ?  Il me répondrait de laisser tomber cet individu sur le champ et il aurait sans doute raison. Mais malheureusement, tout n'est pas aussi simple. Nathan a sur moi un effet dévastateur qui me pousse, sans mon aval, à me comporter comme une fille que je ne suis pas.

— Je n'ai pas envie de perdre ma meilleure employée, renchérit-il devant mon air pensif.

Voilà presque trois ans que je gère seule le flot incessant d'étudiants qui s'agglutine tous les week-end, le reste de la semaine Paolo s'occupe des  clients, beaucoup moins nombreux. Ce constat chasse aussitôt mon désarroi, un sourire franc laisse la place à cette grimace qui étirait mes lèvres jusque là.

— Jusqu'à hier, j'étais ta seule serveuse, affirmé-je en lui frappant légèrement l'épaule.

— Oui c'est vrai ! admet-il en riant. Mais je tiens à toi...enfin comme un frère tient à sa sœur, ajoute-t-il en voyant mon air abasourdi.

Je le vois soudain différemment. Derrière cette relation professionnelle qui nous unis, se cache un sentiment bien plus profond. Il devient à mes yeux ce frère que je n'ai jamais eu, soucieux et protecteur. Exactement ce dont j'ai besoin à cet instant. Toute cette soudaine attention, et l'imbroglio qui règne dans ma tête depuis quelques jours, ont sur moi un effet détonnant. Sans réfléchir, je me blottis contre lui pour puiser la force dont j'ai besoin. J'enfouis mon nez dans sa chemise d'où émanent des fragrances de cèdres et de patchouli qui apaisent mes tensions. D'abord surpris par cet élan d'affection, qui n'est pas dans mes habitudes, il reste stoïque puis finalement, il resserre ses bras autour de moi.

— Tu sais que tu peux me parler, chuchote-t-il contre mes cheveux.

Je ne réponds pas tout de suite, je profite de cet intermède de réconfort dans ma vie si agitée. Je me concentre sur les battements réguliers de son cœur, sur sa respiration calme et sereine, sur la chaleur de ses bras rassurants autour de moi. Il est tel un puissant analgésique contre mes tourments. Après une minute de ce remède, je me décale lentement du confort de ses bras.