Chapitre 35

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Cassandre

J'enfile mon polo, bien décidée à me changer les idées en passant les heures suivantes chez Paolo, à slalomer entre les clients. Je ferai n'importe quoi, absolument tout, pour oublier un chouya de ce qui s'est passé la veille. Mon esprit est à des kilomètres de cette maison, dans une salle de spectacle où je me suis comportée comme la pire des traînées. Jamais je n'aurais cru tomber aussi bas.

Je me dégoûte.

Je quitte ma chambre, les épaules basses, pour rejoindre le salon. Nathan est confortablement assis dans le canapé, un journal entre les mains. La Tribune, si je ne m'abuse ! Lorsque je me poste devant lui, il lâche des yeux son article et me reluque des pieds à la tête. Ce froncement de sourcils significatif ne me dit rien qui vaille. L'épisode de la veille n'est pas encore cicatrisé, que ma fierté s'apprête à subir un autre affront.

— Je peux savoir ce que tu fous ?

— Je dois aller travailler.

Dans une posture d'enfant que l'on rabroue, les mains jointes devant moi, les yeux baissés, j'attends que sa colère explose.

— Tu n'as plus à travailler, je te l'ai déjà dit, grogne-t-il d'un ton exaspéré.

Je relève aussi vite les yeux dans sa direction.

— Mais...

Je n'ai pas le temps d'argumenter que sa voix tombe comme un couperet, me faisant tressaillir par la même occasion :

— Ne fais pas cette tête de chien battu, ma décision est prise. Nous allons régler ça une bonne fois pour toute.

J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Sa réaction me semble si aberrante. Sa décision ? Il s'agit de mon travail. Compte-t-il gérer ma vie sans me demander la permission ? Sa main agrippe fermement mon bras, et avant que je ne réagisse, il m'attire avec lui vers l'extérieur. Sans ménagement, il me pousse dans la voiture. Un stress immense m'envahit. Que va penser Paolo ? Je vais quitter mon poste de serveuse du jour au lendemain, sans même lui laisser le temps de me trouver une remplaçante. Pour couronner le tout, je suis accompagnée d'un homme, qui j'en suis certaine, ne lui plaira pas.

Tandis que Nathan referme la portière sur moi, une profonde appréhension me noue le ventre. Je doute que cette confrontation se passe sous les meilleures auspices. La berline franchit le portail pour s'engouffrer dans ce luxueux quartier de la ville. C'est à cet instant que mes yeux tombent sur cette Mercedes garée de l'autre côté de la route. Un court instant, comme plongée dans un monde irréel, je croise ce regard clair qui me réchauffe aussitôt le cœur. Ma bouche esquisse un léger sourire. Même si j'ai quitté mon logement comme une voleuse, je suis soulagée que Julian sache où je me trouve. Une petite part de moi n'est pas rassurée d'avoir pris cette décision aussi rapidement. J'essaie de garder la jonction de nos regards le plus longtemps possible, sans pour autant attirer l'attention de Nathan. Je me sens soudain plus légère, le savoir non loin de moi me rassérène. Je n'ose pas me retourner pour m'assurer qu'il me suit, de peur d'éveiller les soupçons sur moi. Mon cœur qui cogne anormalement dans ma poitrine me souffle qu'il est bien là, qu'il me protège. Est-ce que ma conscience m'informe que je courre un danger ? Est-ce qu'emménager chez Nathan est une erreur ? Il est trop tard pour se poser ce genre de questions.

A côté de moi, Nathan a le regard braqué sur son téléphone. Le front plissé, il arbore un air des plus sérieux dans son costume gris foncé à fines rayures. Je suis désormais lié à lui, retenue par sa main d'acier qui refuse de me laisser le champ libre.

Mais qu'est-ce qui m'a pris ? Quelle idiote je fais !

J'ai tellement tergiversé que je n'ai pas vu le temps passé. La berline s'arrête devant le bar et la portière s'ouvre aussitôt. Je me heurte au regard sombre de Nathan, plus pressé que jamais d'en finir avec cette histoire. Les jambes en coton, l'esprit ombragé par la situation, j'entre dans l'établissement. Le sourire enthousiaste de Paolo ne fait qu'amplifier mon malaise. D'un pas incertain et suivit de près par une ombre inquiétante, je m'avance du comptoir. Ma voix tremble, tout comme l'ensemble de mes membres.

l'emprise des sensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant