Chapitre 3

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        Même si les environs avaient l'air lugubres, le quartier ne l'était en réalité pas tant que ça. Il y'avait plusieurs commerces et entreprises, sortir le soir n'était pas plus dangereux qu'ailleurs. En bref, Pumpkin Patch ne craignait pas tant que ça.
        Nous habitions dans un ancien bâtiment d'entreprise logistique réaménagé qui aurait  été abandonné après les émeutes qui avaient éclaté à Specter. Heureusement, la moisissure et les rats n'avaient pas eu le temps d'y élire domicile puisque les Chouettes l'avaient immédiatement racheté et s'y étaient installées. Il n'occupait pas une très grande surface, ce qui nous arrangeait bien.
        Ce bâtiment avait été sujet à polémiques. Certains se disaient que vivre dans une bâtisse aussi peu discrète au milieu de la ville attirerait l'attention, et d'autres pensaient qu'au contraire cet endroit serait le dernier auquel quiconque s'attendrait à trouver une bande de voyous.
        Évidemment, j'avais demandé à Ether de se garer le plus loin possible, alors j'avais eu à faire un peu de route avant d'arriver à destination.
         Comme toujours, l'entrée qui donnait sur la route principale était bloquée. Il fallait donc soit la contourner en entrant par l'arrière, soit faire preuve d'agilité. Comme cet édifice était encerclé par d'autres habitations, il n'était pas bien compliqué de passer par dessus la barrière. Après avoir jeté un coup d'œil aux environs, je me balançai sur l'escalier de secours du bâtiment voisin avant de longer la paroi jusqu'à avoir traversé l'obstacle. Lorsque mes pieds eurent à nouveau foulé le sol, j'eus un soupir de soulagement. J'avais fait ça toute mon enfance, mais je pensais bien ne plus en avoir l'occasion.
        Alors que la nervosité commençait à me gagner j'entendis deux voix provenant de l'intérieur du bâtiment. Je m'apprêtai à entrer lorsqu'une bouteille en verre passa à travers la vitre et vint s'écraser contre le muret.
        — J'espère que t'as prévu de passer au supermarché parce que c'était la seule et unique qu'on avait, lança une voix masculine.
        Je me rapprochai et vis Lynx, un garçon aux longs cheveux auburn de deux ans plus âgé que moi narguer Juniper, sa sœur qu'il dépassait d'un an. Tous les deux se ressemblaient énormément, si nous mettions de côté leurs goûts vestimentaires.
Juniper avait un style d'écolière qui d'après Lynx « sortait tout droit du rêve érotique d'un vieux pervers Japonais ». Quant à Lynx, ses piercings et tatouages parlaient pour lui.
        — Pourquoi ? demanda sèchement Juniper en agitant son voile de cheveux auburn. Tu avais prévu de t'en servir comme sextoy à ta prochaine séance BDSM avec ton groupe de nymphomanes sexuellement chargés ?
        — Tu piques une crise parce que le mec que tu pourchasses comme une hystériques depuis des mois a préféré ça (il se désigna suggestivement) à ça.
        Il la désigna du doigt avec une expression faussement désolée et Juniper prit une autre bouteille qui ressemblait à du cidre.
        — Alors ça t'en sais rien. Et puis même si c'était le cas, il faudrait être complètement désespéré pour être intéressé par un mec qui croit encore aux croque-mitaines.
        — Là c'est toi qui n'en sais rien. Je l'ai vraiment...
        Lynx tourna la tête et se figea immédiatement en me voyant. Juniper suivit son regard et lâcha la bouteille de cidre qui se déversa sur le carrelage.
        — Tu m'as fait sniffer de la beuh sans mon consentement ? a-t-elle demandé à Lynx.
— Non mais merci de me donner des idées.
Je déposai mes affaires à l'entrée et leur fit un signe de la main.
— Salut.
— Ce n'est pas une hallucination ? demanda Juniper.
— Non, c'est bien moi.
Lynx se rapprocha et me prit le bras.
— T'es encore entière en plus !
Je frottai une tâche imaginaire sur ma joue.
— On dirait bien.
        — Oh, sans déconner ! s'exclama Juniper avant de me prendre dans ses bras. J'arrive pas à croire que tu sois là ! (Elle s'interrompît) Attends, tu t'es évadée ?
        — Bien sûr que non.
        Lynx leva les yeux au ciel.
        — Elle a un cerveau, elle.
        — Ouais, justement, et tu devrais prendre exemple sur elle. Être aussi immature à ton grand âge.  Pathétique.
        Il lui fit un doigt d'honneur et ramassa mes affaires.
        — Je te les monte dans ta chambre, proposa-t-il. Les autres risquent d'avoir une surprise en rentrant. Hydrate-toi bien, parce que je pense qu'avec toutes les questions qu'on aura à te poser tu vas vite regretter la prison.
        Il me gratifia d'une tape sur l'épaule.
        — Je suis content de te revoir Jaïna, me dit-il avec un sourire.
        — Oui, moi aussi.
        À présent seule avec Juniper. Celle-ci me fit la discussion en me racontant dans le détail tout ce qui avait pu se produire pendant mon absence. L'ambiance était de toute évidence toujours aussi animée. Pendant que je la regardais préparer une infusion dans l'une des pièces réaménagées en cuisine, je pris la parole :
— Jane n'est pas là ?
Juniper baissa le feu alors que la théière se mettait à siffler.
— Elle est sortie prendre l'air il y'a quelques heures.
— Toute seule ?
— Uh-huh.
Je fronçai les sourcils.
— Vous la laissez sortir toute seule ?
Elle se tourna vers moi, visiblement surprise par mes propos.
— Pourquoi on ne devrait pas ? Elle n'a plus douze ans.
— Quelqu'un pourrait s'en prendre à elle, marmonnai-je.
Elle me sourit tendrement.
— Je comprends que tu t'inquiètes pour elle. Mais même dans ce monde de pourris, j'aime à croire qu'il existe des gens assez civilisés pour empêcher des tarés de s'en prendre à une fille en fauteuil roulant.
Je repliai mes genoux contre ma poitrine tandis que Juniper sortait des tasses du placard.
— Il ne s'est rien passé de grave ces derniers mois ?
— Mis à part ce que je t'ai raconté, non rien, répondit-elle.
— Vous n'avez pas rencontré de monde ?
Elle pouffa.
— Nous ne sommes pas un club artistique, se moqua-t-elle en versant le thé dans nos tasses.
Elle me regarda fixer ma tasse.
— Tu as quelque chose contre le thé maintenant ?
Je ne répondis pas et me contentai de touiller le contenu avec une cuillère qu'elle me tendit, en essayant de ne pas penser à ma rencontre avec le chef du clan Draatinga.
— Maintenant que j'y pense... (je levai les yeux vers elle) Jennella a bien rencontré quelqu'un.
Je me redressai.
— Qui ça ?
— Une fille. Je ne sais plus trop son nom, dit-elle en s'asseyant en face de moi. Très jolie.
— À quoi est-ce qu'elle ressemble ? Comment elle est ? insistai-je.
        Elle but une gorgée et jura lorsqu'elle se brûla.
        — Euh... Elle a de longs cheveux noirs, des yeux verts et un super style vestimentaire (elle saisit mon regard et ajouta rapidement :) Et elle est très sympa. Vraiment.
Je posai mes mains sur mes cuisses en tentant de paraître le moins tendue possible.
— Est-ce qu'elles se voient souvent ? ai-je demandé.
— Au début, non, répondit-elle. Mais tu connais Aleah, elle a toujours surveillé vos fréquentations— surtout les tiennes—, alors elle a voulu la rencontrer.
        Ma mère avait donc rencontré Ether. Si elle avait pris la peine de se déplacer cela voulait dire qu'Ether et Jane se voyaient bien plus souvent que je ne m'y attendais.
        — Et comment ça s'est passé ?
        Juniper haussa les épaules.
        — Pas trop mal pour une première fois. Mais au bout du compte, après s'être assurée qu'elle n'était pas dangereuse, les choses sont rentrées dans l'ordre. Surtout après que  Jennella l'ait ramenée ici sur un coup de tête.
        Mon corps se raidit si subitement que mon genou frappa contre la table à manger, faisant déborder ma tasse de thé encore remplie et sursauter Juniper.
        Celle-ci agita les mais pour me calmer.
        — Détends-toi, me berça-t-elle. On était tous aussi inquiets, mais on se trompait. Elle est venue trois ou quatre fois depuis et il ne s'est jamais rien passé. Bien sûr, on restait tous sur nos gardes, et on le reste toujours, par instinct. Mais si tu veux mon avis, on n'a rien à craindre d'elle. Je la sens bien.
Mais je ne l'entendis pas. Ether ne s'était donc pas contentée d'espionner ma sœur. Elle était entrée en contact direct avec elle, l'avait fréquentée, et même pénétré notre domicile pourtant si bien surveillé. Je serrai les poings posés sur mes cuisses. Heesadrul, Ether, les Draatinga, les familles royales... ils étaient tous décidément très forts. Et très dangereux.
— Aleah ne néglige jamais notre sécurité, ajouta-t-elle avec un sourire gêné. Tu le sais bien.
Ma mère faisait toujours de son mieux, c'est vrai. Mais elle n'était pas non plus infaillible, contrairement à ce que tout le monde pouvait penser.
— Cette fille s'appelle Ether, commençai-je.
Juniper tilta et cessa de remuer son thé.
— Tu la connais ?
Je ne répondis rien. Était-ce vraiment une bonne idée de créer un mouvement de panique ? Mais si je ne disais rien et que Heesadrul décidait de me renvoyer en prison — ou pire — Ether aurait la possibilité de rester en contact avec ma famille sans qu'ils ne soient au courant du danger.
Comme Juniper l'avait dit, elle n'avait rien tenté. Est-ce que c'était parce qu'elle n'en avait pas reçu l'ordre ? Ou parce qu'elle ne le voulait pas ? Je secouai la tête. Elle n'avait aucune raison de ne pas le vouloir, c'était une Draatinga après tout.
Juniper s'impatienta et tapa de la cuillère sur la table.
— Tu es avec moi ? m'interpella-t-elle. Comment est-ce que tu la connais ?
Je pris une gorgée de thé et tentai de le dire avec le plus de tact possible.
— C'est une Draatinga, lâchai-je. Elle vous gardait à l'œil afin de me pousser à travailler pour le chef du clan, Heesadrul Draatinga, son père.
       Juniper ne dit rien pendant plusieurs secondes avant d'éclater de rire.
       — Ah t'es marrante ! Je ne savais pas que ça t'arrivait d'avoir de l'humour (elle s'interrompit et me regarda) Ouais, non. Ça t'arrive jamais...
        Elle posa sa cuillère avant de se lever. Je la regardai faire sans un mot.
        — Attends, tu en es sûre ? Je veux dire, sûre et certaine ?
        Je la fixai et elle soupira avant de poser sa tête sur la table.
        — Comment... C'est pas... j'arrive pas à croire que...
        — Je sais, répondis-je.
        Elle se redressa avant de me faire face.
        — Ça veut dire que tout ce temps cette garce a...
        —Elle est rentrée ! s'exclama Lynx en faisant irruption dans la pièce. Jennella est rentrée. Je ne lui ai rien dit pour que tu puisses lui faire la surprise et (il s'interrompît en nous voyant) Qu'est-ce qui se passe encore ?
        Je soupirai et me relevai.
        — Merci, lui dis-je en le dépassant. Je vais aller la voir.
        — Je me charge du reste, lança Juniper.
        — Quel reste ? De quoi vous parliez ? demanda Lynx. Pourquoi je suis toujours le dernier à être au courant ?
        — Oh ça va, arrête de chialer ! Un peu de dignité.
Lynx ricana.
— C'est toi qui me parles de dignité ? se moqua-t-il. À ta place j'aurais honte d'exister. Dis moi, t'aurais pas quelques films porno en cours ?
— Oh, tu dis ça parce que je me charpente pas le corps ? Attention, je crois qu'il y'a une petite parcelle de peau de ton visage qui n'est pas taguée. Quoiqu'avec ton énorme chtar en guise de buzzer t'en as pas besoin pour te faire remarquer.
Je quittai la pièce en les laissant en pleine bataille de joutes verbales.

T1 Jaïna : RenaissanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant