J'adoptais souvent le mantra "ne remets pas à demain ce que tu peux faire aujourd'hui". Je trouvais ça intelligent : procrastiner n'apportait rien de bon. À quoi la fainéantise servait si ce n'était qu'à nous piéger.
Mais dans le cas présent, il n'était probablement pas possible de débarquer dans le bureau d'Heesadrul à une heure aussi tardive et de lui imposer mon caprice de ponctualité. Même s'il ne s'était pas gêné pour me faire chanter, à peine sortie de prison.
Les personnes aisées et leur mode de vie harmonieux.
Nous avons tous dans la vie notre opposé. Ou notre complément. Celui ou celle qui freine nos ardeurs ou tempère nos excès. C'est pour cela que j'adorais Jennella.
Alors que nous quittions la boîte avec Ether après avoir convenu de mon entrevue avec son père le lendemain, ma soeur apparut de nulle part, à quelques mètres de la boîte s'approcha de nous avec bien plus de difficulté qu'au début de la soirée. Je fronçai les sourcils d'inquiétude et de mécontentement alors qu'elle balayait mon regard désapprobateur d'un geste de la main.
— Où est-ce que vous allez comme ça, sans prévenir ? demanda-t-elle en passant son regard inquisiteur de moi à Ether. Vous trouvez ça probablement normal de quitter sa sœur sans un mot et de s'enfuir comme une voleuse après des semaines de silence radio.
Elle prononça la dernière phrase le regard rivé sur Ether, les bras croisés sur sa poitrine, faussement vexée. Ether baissa néanmoins le regard.
— Je suis désolée, fit-elle. J'ai... J'ai eu quelques empêchements et...
Sans prévenir, Jane courba sa longue silhouette et pris affectueusement Ether dans ses bras. Je la vis se crisper instantanément et lever les bras, ne sachant pas quoi en faire.
— Je sais. Tu ne peux pas être sur tous les terrains, souffla-t-elle. Et même si c'est le cas, il arrive parfois que ce soit si dur qu'il devient impossible de prendre du recul sur les choses et de faire un break. Tu dois avoir des milliers de choses en tête et je ne t'en veux pas.
Elle recula sa tête, sans relâcher son étreinte, et la regarda, l'air grave.
— Mais quoi que tu fasses, soit bien sûre que ce soit ce que tu veux. La vie est trop courte pour s'infliger des supplices.
Ether écarquilla légèrement les yeux, et j'étais tout aussi médusée. Après un silence de quelques instants, Jane le rompit par un tape sur les épaules d'Ether avant de reculer avec un de ses joyeux et bienveillants sourires greffés au visage.
— Bon ! Vous ne m'avez toujours pas dit pourquoi vous êtes parties en douce et si tôt. Qu'est-ce que vous mijotez ? demanda-elle en nous pointant du doigt.
Ether me regarda et je pris la parole.
— On allait rentrer, répondis-je honnêtement.
Jane me lança un drôle de regard inquisiteur avant de croiser les bras.
— Mmh mmh, fit-elle en haussant un sourcil, un petit sourire narquois aux lèvres. Vous avez copiné très vite. C'est assez inattendu vous connaissant. Vous devez avoir des milliers de choses en commun pour que le courant passe si bien au point de vous cacher à l'arrière salle pour ensuite disparaître à pas de loup au milieu de la nuit.
— Euh...
Je fronçai les sourcils et jetai un coup d'œil à Ether en espérant qu'elle puisse trouver quelque chose à répliquer mais la vis étrangement... mal à l'aise.
Jane se rapprocha soudainement et braqua son regard sur Ether.
— Vous ne me cacheriez pas quelque chose ? fit-elle en remuant son sourcil, son sourire narquois grandissant. Vous savez, votre bonheur fait le mien alors je serai ravie que vous me fassiez assez confiance pour me révéler votre petit secret sur votre... relation naissante, fit-elle en glissant son regard sur moi.
Ether écarquilla à nouveau les yeux en faisant passer son regard de ma sœur à moi et du sol aux arbustes. Jane éclata de rire en la voyant si désemparée.
— Arrête un peu de dire n'importe quoi, à ton âge ! Ce n'est pas drôle et ce n'est pas vrai.
— Ah, vraiment ? fit Jane.
— Ça l'est, répondis-je. Nous avons effectivement une relation naissante.
Jane la regarda et haussa les sourcils, satisfaite et victorieuse. Ether me dévisagea, bouche bée, avant de détourner le regard.
— Pas dans ce sens là, Jaïna.
— Quel sens ?
— Pas dans le sens auquel tu penses, répondit-elle.
— Et à quoi je pense ? insistai-je.
Jane pouffa tandis qu'Ether se frottait la tempe, comme si elle avait affaire à une enfant qui lui donnait du fil à retordre.
— Elle ne faisait pas référence au sens amical d'une relation.
— Oh, fis-je.
Ether s'éclaircit la gorge tandis que ma sœur semblait jouir d'une satisfaction démesurée.
— Comment est-ce que ce serait possible ? demandai-je soudainement.
— Quoi ? firent-elles.
— Comment est-ce qu'on pourrait avoir ce genre de relation ?
Elles se regardèrent et Jane, maintenant calmée, me répondit comme je l'espérais.
— Pourquoi pas ?
— Tu penses que ce serait bizarre ? demanda Ether.
— Oui.
Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit.
— Pourquoi ça ? relança rapidement ma soeur.
— Je ne comprends pas comment deux personnes qui viennent de se rencontrer peuvent immédiatement débuter une relation amoureuse.
— Oh, firent-elles à l'unisson.
— Quoi ?
— Rien, ricana Jane. Mais des milliers de personnes font ça de nos jours.
— Ces personnes ont une relation intime, pas amoureuse, objectai-je.
— Tu marques un point.
— Tu ne crois pas au coup de foudre ? me demanda Ether.
Je lui jetai un coup d'œil. Je n'y croyais pas. Il s'agissait juste d'une appellation élégante de la libido utilisée pour troubler les personnes irrationnelles et simples d'esprit. Une propagande diffusée par le gouvernement à travers les médias pour instaurer le concept de l'amour pur et fougueux afin de mieux vendre cette institution qu'est le mariage.
— Non.
— Du tout ? insista-t-elle. Qu'est-ce que tu fais des personnes qui tombent amoureuses au premier regard ?
Je haussai les épaules.
— Je n'en ai jamais rencontré.
— OK alors... des personnes qui tombent amoureuses tout court?
Je haussai un sourcil.
— Quoi ?
Elle haussa les épaules en jetant un coup d'oeil à Jane.
— Tu es déjà tombée amoureuse ?
Même si je trouvais que c'était assez indiscret compte tenu de notre proximité actuelle, il ne m'en coutait rien de répondre. Ce n'était ni une tare ni un tabou.
— Non, jamais.
— Jamais ! renchérit Jane. Mais moi, si. Même si tu le sais déjà (elle se tourna soudainement vers moi les yeux écarquillés). J'avais complètement oublié ! Jaïna, c'est elle la fille dont je t'ai parlé. Tu sais, celle avec qui je passais du temps et qui me rapportait tous ces antalgiques.
Je jetai un coup d'oeil vers Ether qui détourna le regard.
— Oui, je le sais. Elle me l'a dit lorsque nous nous sommes... rencontrées.
Jane m'observa d'un drôle d'air avant de poursuivre comme si de rien n'était :
— En tous cas c'est bien que vos chemins se soient croisés, peu importe la façon, déclara-t-elle en me gratifiant d'une tape sur l'épaule. Ça t'aidera peut-être à socialiser, sortir, voir du monde. (elle me désigna d'un signe de tête à d'Ether) Si elle ne travaille pas, elle passe tout son temps seule, terrée dans une pièce obscure à se rajouter du boulot. Et ce, malgré mes efforts et ceux de tout notre entourage qui, eux aussi, se démènent à essayer de lui bâtir une jeunesse. Alors tu vois, je suis loin d'être la seule à vouloir passer du temps avec elle. Mais elle décline toujours toutes nos invitations avec cet air saoulé qui ne la quitte jamais.
— Je ne décline pas si souvent les tiennes, contredis-je.
— Si, mais je te force toujours à me suivre. Aujourd'hui en est la preuve.
— C'est vrai que je trouvais ça bizarre de te rencontrer ici, commenta Ether.
— N'est-ce pas ? fit Jane, ravie d'avoir une alliée sur ce sujet d'une importance capitale. Alors que c'est un endroit sympa.
— Et bruyant.
— Tu as toute ta retraite pour jouir du calme, fit Jane. C'est maintenant qu'il faut en profiter.
— Pour me percer les tympans ?
Elle leva les yeux au ciel.
— Tu passes ton temps sur le no man's land et c'est tes oreilles qui t'inquiètent ?
— Je préférerai ne pas perdre bêtement mon ouïe, répliquai-je.
— Euhm...
Nous nous tournâmes vers Ether.
— Il va falloir que j'y aille, annonça-t-elle. Il est tard et j'ai pas mal de choses de prévues demain.
— Bah... vous ne deviez pas aller quelque part avec Jinny ? demanda ma soeur.
— Oh, non pas ce soir. On allait juste rentrer et comme on prenait le même chemin...
— Pourquoi remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui ? la coupa Jane. Quoique ce soit, je suis sûre que c'est assez important pour réussir à attirer l'attention de Jinny alors autant le faire tout de suite. Ça sera chose faite et vous serez débarrassées.
— Qu'est-ce qui te fait croire qu'on a quelque chose à faire ? demandai-je.
Ma sœur haussa les épaules en me regardant comme si je posais la question la plus évidente du monde.
— Ether a répondu "pas ce soir".
Je levai les yeux vers la coupable .
— Oh..., fit-elle
— Piratage psychologique, se vanta Jane. Simple et efficace.
— Quoi qu'il en soit, repris-je. Comme elle l'a dit, il est tard.
— Et alors ? On est loin d'être les seules personnes réveillées à quatre heures du matin. Et puis, qu'est-ce que vous avez à perdre ?
— Elle a raison, intervint contre toute attente Ether. Ça pourrait se faire.
J'ouvris la bouche et la refermai. Parler le plus rapidement possible à Heesadrul m'arracherait une épine du pied, mais il était vrai que dans l'immédiat, je n'avais aucune envie de le confronter. Je soupirai. Si la vie avait été une question d'envie, de souhaits et de désirs, alors tous les êtres humains de cette planète n'en seraient pas là où ils en sont. Pour pouvoir avancer et évoluer, il fallait penser "productif" même si ça allait souvent de paire avec déplaisir. Et puis, si Ether jugeait qu'il était envisageable de s'entretenir avec son paternel, qui était-je pour la contredire. Autant saisir cette opportunité et vite conclure cette affaire.
— Très bien, me résignai-je.
— T'es facile à convaincre, commenta-t-elle en haussant les sourcils.
— Tout dépend de la corde sur laquelle tu appuies..., fit mine de chuchoter Jane. Bon ! Je vous ai assez retenues comme ça. Je commence à fatiguer, encore un dernier round et je pourrai enfin retrouver mon cocon douillet.
— Tu es sûre que tu vas y arriver ? m'inquiétai-je. Tu ne préfères pas que je t'accompagnes ?
Jane me sourit et je vis bien qu'elle essayait de retenir un rire moqueur.
— Ça va aller, m'assura-t-elle. On n'est pas venues seules rappelle-toi. Et puis, j'ai dit : encore un round.
— Mais...
— Arrête un peu de faire ta toi et occupe-toi de ce que tu as à faire. Allez, allez, va-t'en, débarrasse le plancher, oust ! me pressa-t-elle en me poussant à m'éloigner. À t'inquiéter comme ça moi j'ai l'impression d'être complètement invalide. Et ne réponds pas ! s'exclama-t-elle avant que je ne puisse répondre quoique soit.
Elle se tourna vers Ether.
— Je te la laisse, et je compte sur toi pour l'aider à régler ses petits... défauts.
Ether me jeta un coup d'oeil, un sourire en coin, avant de reprendre la route non sans lâcher un.
— Je les trouve cool.
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T1 Jaïna : Renaissance
ParanormalJaïna est une jeune tueuse à gage, véritable machine à tuer entraînée à Odium, la nation du Feu. Après s'en être prise à un membre des huit familles siégeant à Specter, la nation du Vent, celle-ci se voit piégée, emprisonnée et accusée d'un génocide...