Je suis encore sous le choc quand j'aperçois du mouvement du coin de l'œil. De l'allée dans laquelle étaient entrés plusieurs hommes-poissons et cultistes -sur ordre de Necora- une silhouette émerge. Son long manteau noir et son large chapeau sont reconnaissables entre mille. C'est un des inconnus de la messe.
Dans un premier temps je le fixe, confuse... Puis il ouvre son manteau pour se saisir du pommeau de son épée, révélant sa veste sur laquelle un mystérieux insigne doré est soigneusement brodé.
Les bras de Mère-des-eaux autour de mes épaules se resserrent abruptement:
« Un chasseur. »
Non. Non c'est impossible.
Tout hérétique qu'il soit, jamais l'Evêque ne ferait une chose pareille. Je refuse d'y croire. Et quand bien même l'idée le traverserait, ils n'accepteraient pas ! Pas les chasseurs. Impossible.
Alors que j'observe l'homme à l'expression tendue sous son chapeau, je réalise qu'une partie de mon être ne croyait toujours pas en l'existence des chasseurs. Bien que connaissant la raison du départ de Mère-des-champs de sa campagne chérie ; bien qu'ayant grandi avec les descriptions minutieuses de flammes, de fumée et de mort ; mon esprit était demeuré convaincu que les chasseurs n'étaient qu'une légende. Qu'un mythe. Quelque chose d'éternellement emprisonné dans les histoires de ma mère, incapable de s'en échapper ou de m'atteindre.
Et pourtant l'homme est là, en position de combat, épée nue, son manteau se soulevant sous l'effet de sa magie s'accumulant.
Des coups de feux retentissent plus loin dans la rue... Et le chasseur se lance. Il est si rapide que je le vois à peine bouger, en un clin d'œil il est hors de notre champ de vision.Ça ne rassure pas Mère-des-champs.
« -Il faut qu'on s'en aille, maintenant ! Panique-t-elle, se dirigeant déjà vers la porte. Mais Mère-des-eaux l'arrête:
-Pecora ! Il y a des centaines de créatures assoiffés de sang dehors, et cette porte est la seule chose qui les sépare de nos fragiles carcasses ! Il est hors de question que l'on mette ne serait-ce qu'un orteil hors de cette maison !
-Il vont tous nous tuer ! Crie Mère-des-champs: Ils ne laisseront aucun survivant ! A la seconde où ils verront Luscus, ou ton étoile de mer, ils pendront toute notre famille ! Je ne laisserai pas ça se reproduire !
-Ils ne vont pas nous attraper. Ils sont bien trop occupés à repousser les forces de Dagon !
-Ah oui ? Et que crois-tu qu'ils feront ensuite ?
-Il n'y aura pas d'ensuite. Jamais ils n'arriveront à vaincre son armée.
-C'est exactement ce que m'a dit la Grande Prêtresse de Balan, et regarde où j'en suis.
-Vous sentez pas une odeur bizarre ? » Interrompt soudainement Vénus.
Mes mères, Luscus et moi la fixons, stupéfait.e.s par son audace. Mais elle continue de renifler, une expression d'intense concentration sur le visage. Bientôt, l'odeur m'atteint également et je la reconnais aussitôt.
C'est une odeur de fumée.Mes mains tremblent alors que j'ouvre la fenêtre à nouveau. Je suis immédiatement assaillies par la lumière aveuglante des flammes et l'odeur suffocante des cendres. Un peu plus haut dans la rue se tient un massacre d'ombres, éclairé par un incendie dantesque.
Le bataillon, qui avait l'air si puissant quelques instants plus tôt, a été réduit de moitié. Le sol est jonché de cadavres deux fois morts, d'hommes-poissons et de créatures sans nom ; obligeant les combattant des deux camps à les enjamber. Des rivières de sang coulent entre les pavés, leur lits altérés par des centaines de cartouches de fusils.
Je suis pétrifiée d'horreur.
Non seulement par l'effroyable spectacle, mais par la réalisation que le brasier vient d'une des maisons de la rue. Que des gens étaient probablement à l'intérieur. Que des gens sont probablement toujours à l'intérieur. Et que vu la proximité des bâtiments dans nos quartiers, cet incendie va brûler l'entièreté de la partie pauvre de Villemer en quelques heures.
Nous aurions pu nous en sortir.
Nous aurions tous pu rester à l'intérieur et en vie.
Mais ils ont décidé de brûler notre seule protection contre la colère de l'Océan.
Parce que, comme un enfant gâté, l'Evêque préfère détruire son château de sable lui-même plutôt que d'admettre sa défaite.
C'est pour ça qu'ils ne laissaient pas rentrer les pauvres dans les quartiers riches. Pour ça que la plupart des soldats étaient postés là-bas, au lieu de près des docks. Pour ça qu'à part une poignée de chasseurs, le gros de l'armée de l'Evêque n'est pas venue dans notre église. Leur but n'a jamais été de nous protéger. Nous ne sommes qu'un sacrifice à la Mer. Comme Necora l'était pour ses employeurs.
Et maintenant il est trop tard.
Nous sommes coincés.
Un pas dehors et nous serons à la merci de l'armée de Dagon, mais si nous restons à l'intérieur nous serons brûlés vifs.
Il n'y a plus d'issue possible.
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A la montée des eaux
ParanormalUne ville portuaire où pêcher est interdit et où l'Eglise locale noie des gens deux fois par an n'est peut-être pas l'endroit idéal pour vivre. Mais c'est là que subsistent tant bien que mal Vive, ses deux mères et ses ami.e.s. Jusqu'à ce que les fo...