Un groupe d'hommes-poissons et d'humain.e.s ont trouvé et déboulonné une statue d'Altar Pesca. Iels l'utilisent maintenant comme un bélier contre les portes de la cathédrale, avec nos encouragement rythmés. Au bout de plusieurs minutes, la porte cède enfin sous un tonnerre d'applaudissements et de cris de joie.
Notre liesse est de courte durée.
Car aussitôt que le bois se rompt, un déversement de lumière et de flammes anéantit toutes les personnes qui se trouvaient droit devant l'ouverture. Un faisceau d'énergie si puissant qu'il ne laisse derrière lui que des cendres.
Je reste tétanisée de choc. Mon cerveau incapable d'assimiler que les pavés noircis et la légère odeur de brûlé sont tout ce qu'il reste de la dizaine de personnes qui se trouvaient encore là avant que je ne cligne des yeux.
Une large partie de nos rangs s'est transformée en de pâles statues d'horreur. Mais pas les noyé.e.s:
« Vite ! Il faut qu'on attaque maintenant ! Ils ont utilisé toute leur énergie magique dans ce sort, on ne doit pas leur laisser le temps de la recharger ! » Me dit Necora alors qu'elle m'attrape par le bras et m'entraîne à l'intérieur de la cathédrale avec les autres descendants de Dagon.
Les humains sont d'abord trop choqués pour réagir, mais bientôt leur stupeur se retransforme en rage et ils rejoignent notre vague en criant. Pour se donner un courage qu'ils ne ressentent pas...L'intérieur de la cathédrale est aussi dégoulinant de luxe que l'on peut se l'imaginer en la regardant depuis l'extérieur. Un déluge de lumière tombe en cascade de larges chandeliers d'or et de cristal. De monumentales sculptures d'Altar Pesca enseignant au premier Évêque nous surplombent. Et une épaisse frise, d'algues et de créatures marines faites de mosaïques dorées, court sur tous les murs.
De plus petites sculptures et peintures sont également visibles, il me faut un temps pour comprendre ce qu'elles son censées représenter: Des liches, des hommes-poissons et des cultistes. Mais les liches sont de délicates femmes blanches aux grands yeux de biche à peine couvertes de fins tissus aguicheurs. Les hommes-poissons sont des bêtes à l'apparence brutale dans le regard desquelles ont ne décèle aucune intelligence. Quant aux cultistes noyé.e.s, ols sont montré.e.s robes ouvertes, pour dévoiler des organes génitaux qui sont à la fois étranges et suffisamment familier pour que les hommes hétérosexuels qui se rendent à la messe les trouvent excitants.
Et Mère-des-eaux trouve que notre prêtre nous ment ?!
Mon regard finit par se poser sur les occupants du bâtiment, ceux qui ont réduits en cendre tout un bataillon. Je ne sais pas qui je m'attendais à trouver là, mais certainement pas trente hommes blancs dont 29 sont vêtus de costumes sur mesure hors de prix.
Je les connais. C'est le cas de la plupart d'entre nous d'ailleurs. L'un d'eux est évidemment l'Evêque. Il porte sa tenue de cérémonie blanche et or et a autour du cou presque dix colliers de perles et de corail. Mais même sans cela, je le reconnaîtrais entre mille, parce qu'il ressemble trait pour trait au premier Évêque dont on voit le visage tous les dimanches à l'église. L'autre homme le plus éminent du groupe est Lebrun, le propriétaire de la conserverie. Puis c'est le chef de la police, le propriétaire des docks, le prêtre de l'église des pauvres, le juge, et toutes les têtes des familles les plus riches et puissantes de Villemer.
Ils ont l'air terrorisé.
Ils ont bien raison.Mais alors que nous nous apprêtons à les atteindre, un grincement colossal nous immobilise. Un court instant, je crois que la cathédrale va s'effondrer et tente de rebrousser chemin. Mais Necora m'arrête:
« La cathédrale leur servait de support pour un sort de protection, et nous l'avons rompu. » M'explique-t-elle: « Ol arrive. »
Je reste bouche bée elle ne veut quand même pas dire que...La réalité se fissure comme la coque d'un bateau, y laissant entrer les eaux d'un océan invisible. Dans son sillage se trouvent des créatures inrêvables, qui tombent et rampent sur le sol de marbre au milieu d'humains stupéfaits. Des êtres qui ne peuvent exister que dans un monde sans poids, sans lumière et sans vent, où tout est chaud et mou comme une immense matrice. Des créatures arborant ce que je sais être des yeux, mais que je ne pourrais jamais décrire comme tel ; bougeant des membres dont je ne comprend pas la fonction ; et couverts d'aucune peau que je puisse concevoir. Pourtant, de l'eau de mer s'écoule dans leurs veines, de fait je sais que nous sommes sœurs.
Est-ce à ça que nous ressemblions avant que notre Créateurice ne nous recouvre de couches protectrices et ne nous montre le chemin vers la surface ? Est-ce à ça que notre Créateurice ressemble ?
Je n'ai pas à me poser cette dernière question bien longtemps.
La fissure s'agrandit, devenant de plus en plus large. Au delà d'elle se trouve des ténèbres luisantes, une immobilité en mouvement, de l'air ayant la même consistance que l'eau, que je peux à la fois respirer et avaler et toucher. Un.e avec cette eau, un.e avec ce monde au delà du monde, se trouve Lo Créateurice-Du-Sang-Et-Des-Multitudes, Lo Divin.e Noyeureuse... Dagon.
Ol est titanesque, grouillant.e, unique et légion, existant d'une manière dont je ne pensais même pas que l'existence pouvait être décrite. Créateurice-Du-Sang-Et-Des-Multitudes ? Oui, je veux bien le croire puisqu'ol est tout cela.
Notre réalité s'affaisse autour d'ol, se tordant sur elle même, et vibrant de ce que je croyais être de la rage mais qui est en réalité de l'allégresse. Une joie sans limite qui me donne l'impression que les profondeurs de mon être sont faites de lave en fusion: c'est horrible, douloureux, merveilleux et vivant ! Vivant ! L'univers entier est vivant et mourant et donnant naissance et pourrissant et dévorant, et nous en faisons partie, et il fait partie de nous. Un flux, une rivière, un immense tourbillon de forces qui semblent nous dépasser et qui pourtant sont juste là, à portée de nos mains où nous sommes libres de les changer, de les tordre, de les ré imaginer.
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A la montée des eaux
ParanormalUne ville portuaire où pêcher est interdit et où l'Eglise locale noie des gens deux fois par an n'est peut-être pas l'endroit idéal pour vivre. Mais c'est là que subsistent tant bien que mal Vive, ses deux mères et ses ami.e.s. Jusqu'à ce que les fo...