Après cette grande révélation, j'ai de la chance car personne ne me demande de rester pour en donner les détails. Tant mieux : premièrement parce que je n'aurai pas eu la force de rester là-bas, deuxièmement parce que malheureusement, il n'y a vraiment rien que je puisse dire ou faire pour les aider. Alors pendant que les autres commencent, sûrement, à élaborer des stratégies quant à la suite des évènements, je m'accorde un moment de répit. Je descends dans le grand salon, commande un verre au bar et pars m'asseoir tout au fond de la salle, dans un coin sombre. Je reste là pendant environ deux heures, avant que quelqu'un ne se décide à venir me voir. Je m'en serais passée sans le moindre problème, mais soit. En tout cas, je n'ai pas le cœur à le repousser lorsqu'il vient s'asseoir juste à côté de moi.
Dieu merci, Bucky ne m'adresse pas la parole. Ni questions désobligeantes, ni paroles réconfortantes, il ne m'embête avec rien de tout ça. Il se contente de rester assis devant moi, un verre à la main, et de me regarder. Il me regarde fixement, sans tourner les yeux une seule fois. De mon côté, je me contente de lever la tête vers lui de temps à autre, comme pour vérifier qu'il est toujours là.
Nous restons comme ça, seuls et silencieux, durant un très long moment. On aurait pu croire que ce serait désagréable, car parfois le silence même à des situations plutôt gênantes, mais ce n'est pas le cas. De temps en temps, le silence suffit. Mais après ce long moment de calme, je finis par changer d'avis sur la manière de gérer les choses. Je tourne la tête vers lui, franchement cette fois, pour l'étudier attentivement. Son visage est aussi dur que d'habitude, mais je lis une nouvelle fois dans ses yeux cette lueur un peu particulière, lumineuse et précieuse. Je ne sais pas pourquoi j'ai envie de me confier, je ne sais pas identifier ce que je ressens quand je suis avec lui et j'en ai aussi, sûrement, un peu peur, mais la vérité est là. Je ne peux pas l'éviter. Alors pour une fois que mon cœur me donne un signe de vie, je le laisse parler et j'oublie la retenue dont j'ai fait preuve toute ma vie.
— Tu te souviens des gaufres au chocolat ?
Bucky hoche doucement la tête.
— Mes parents m'en préparaient pour le petit déjeuner, quand j'étais toute jeune. On mangeait des gaufres et on écoutait de la musique, tous les trois. Mais ça s'est arrêté très vite. En fait, c'est à peine si je me souviens d'eux, de cette époque. Tout ce dont je me rappelle, c'est les gaufres et la musique. Et le visage de ma mère, aussi...
Je prends un instant pour reprendre mes esprits et me préparer à ce que je vais dire ensuite. Ces mots-là, je ne les ai jamais prononcés à haute voix.
— Quand j'avais environ trois ans, ma mère m'a réveillée en plein milieu de la nuit. Mon père n'était pas là, et quand je l'interrogeais ma mère ne répondait pas. Avec du recul, j'ai fini par penser qu'il est mort cette nuit-là. Peut-être qu'elle l'a tuée, j'en sais rien. Si ça se trouve, je m'imagine simplement le pire scénario parce que... et bah, tu sais : c'est souvent le pire qui se produit. Et puis j'ai eu plus de vingt ans pour m'imaginer le déroulement de cette soirée, alors forcément j'ai eu toutes sortes d'idées. Quoi qu'il en soit, cette nuit-là nous avons quitté la maison et nous avons roulé toute la nuit. Le lendemain, ma mère m'a emmenée dans un foyer d'accueil, le premier dans lequel j'ai vécu. Je ne l'ai jamais revue.
Un nouveau silence. Je pourrais m'arrêter là, j'ai donné un nombre important d'informations à Bucky et je sais que je devrais simplement me taire mais maintenant que j'ai commencé à parler, je ne peux plus m'arrêter.
— J'ai changé de famille d'accueil une trentaine de fois en tout. A mes seize ans, j'ai fui la dernière en date et je suis partie à l'autre bout des États-Unis. J'ai enchaîné les petits boulots jusqu'à la majorité, où j'ai commencé à chasser les primes. J'ai eu beaucoup de mal à construire ma vie, grandir en famille d'accueil, c'est... C'est compliqué. Je n'ai jamais lié de relation avec personne, je n'ai même jamais été proche de quelqu'un comme je le suis de Sam, ou de toi. Alors qu'honnêtement, on n'est pas les meilleurs amis du monde, hein ?
Cette fois, j'ai terminé. Je relève la tête vers Bucky et esquisse un sourire un peu amer.
— Voilà, tu sais tout. Maintenant tu me connais mieux que n'importe qui.
— Joy, murmure-t-il alors en s'approchant dangereusement de moi, je...
— Non, l'arrête-je, ne fais pas ça. N'aie pas... pitié, s'il te plaît. Ne me dis pas que tu es désolé, n'essaie pas de me réconforter. Ça me mettrait vraiment très mal à l'aise. Tu veux bien faire ça ?
Bucky me regarde silencieusement quelques instants et ensuite, il esquisse un sourire à son tour.
— Je veux bien faire ça. On n'a qu'à... boire un coup. Ça te dit, de boire un coup ?
— Ça me dit, réponds-je en souriant.
— Bien.
Finalement, juste avant de clore cette conversation et de laisser mon malaise derrière moi, Bucky penche légèrement la tête et soupire.
— Et Joy, il faut que tu saches un truc : je n'ai pas pitié de toi. Au contraire. Je trouve que tu es une femme... exceptionnelle.
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L'univers de Joy - Tome 1
FanficJoy a un boulot très prenant : elle est chasseuse de primes. Mais alors qu'un soir elle s'attend à effectuer un simple job de plus, elle fait la rencontre de deux hommes dont elle a déjà entendu parler : Sam Wilson et Bucky Barnes. Très vite, Joy es...