Chapitre 10

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Elle s'était endormie sans crier gare, très certainement épuisée par sa crise de larmes. Ses yeux étaient fermés depuis bien avant qu'elle ne sombre, mais je la sentais maintenant lourde et sa respiration était plus calme. Ca me soulageait qu'elle ait pu s'endormir. Je me disais que tant qu'elle dormait, elle ne pensait pas, et si elle ne pensait pas, elle était probablement plus apaisée et moins torturée.

Je crois que j'avais jamais été confronté à ça. J'avais déjà été spectateur de grandes souffrances, j'avais moi-même ressenti parfois de profonds mal-être, mais chez elle, ça prenait une tout autre dimension. Elle m'avait expliqué clairement, et j'avais compris. J'avais compris qu'elle avait, comme une éponge, emmagasiné bien trop de détresse pour son jeune âge. Avoir des parents absents, c'est une chose, mais devoir inverser les rôles pour survivre, c'en est une autre. Elle m'avait raconté qu'elle avait du, toute seule, apprendre à entretenir un appartement, à gérer un budget, à cuisiner, à faire ses devoirs, à laver ses vêtements, et surtout à faire en sorte que personne n'ait la moindre idée de leur situation compliquée. Moi qui avait longtemps vécu comme un assisté, couvé par une grand-mère aimante, j'avais eu du mal à m'imaginer dans son cas. J'aurais probablement fait comme elle, si je n'avais pas eu le choix, mais quand même, l'inconscience et l'innocence de l'enfance, c'est bon et surtout ça ne se rattrape pas.

Hakim et moi avions eu une enfance un peu triste aussi, mais nous avions toujours été soutenus et appuyés par nos grands-parents. Et puis nous étions deux.

Ca me faisait réaliser combien mon frère m'était précieux. On s'entendait bien, on bossait ensemble, on se voyait souvent, mais c'était au-delà de ça. Il avait été, toute ma vie, mon principal point de repère. Je ne m'étais jamais senti seul de toute ma vie, parce que je savais qu'il était là. C'était mon exemple, mon phare dans la nuit, la seule personne pour qui j'aurais pu donner ma vie sans hésiter. On se chambrait, on n'était pas toujours d'accord, plus jeune nous nous étions mis sur la gueule un nombre incalculable de fois, mais c'était mon frère, pour toujours. C'était comme ça, et ça ne changerait jamais. Ma vie aurait eu une tout autre saveur si je ne l'avais pas eu à mes côtés, et j'imaginais difficilement comment on pouvait vivre sans un Hakim dans sa vie.

Lise, elle, n'avait eu ni grands-parents dévoués, ni frère pour l'épauler. Elle était désespérément seule. Elle l'avait été toute son enfance, toute son adolescence, et même mariée, elle restait seule. C'était franchement triste, comme constat, quand même.

J'attendais quelques minutes, puis décidais d'essayer de m'éclipser pour la laisser se reposer tranquillement. Je pouvais rien faire d'autre, de toutes façons. Maintenant qu'elle dormait, je me figurais que je n'étais plus en mesure de la consoler. Et puis, encore plus que la première fois, ça me faisait drôle d'être dans cet appartement. Je me sentais comme un intrus, et pourtant je m'y sentais à ma place.

A chaque fois que je tentais un mouvement pour me défaire de son emprise, elle me serrait plus fort. J'avais plus tellement l'impression d'être son doudou, là. J'étais plus une bouée qu'un doudou. A chaque tentative ratée, j'attendais quelques minutes, et réessayais de la faire se décaler pour me laisser rentrer chez moi. Plusieurs fois, j'échouais. J'aurais pu me sentir pris au piégé ou être agacé, mais ça m'amusait plus qu'autre chose. Il y avait cet air sur son visage qui la rendait si mignonne quand elle grognait et se raccrochait un peu plus à moi.

- S'il te plait, pars pas... je l'entendais murmurer lors de mon ultime tentative. Reste avec moi...

- Lise, je vais pas dormir là quand même...

- Pourquoi pas ? On fait rien de mal.

Ça, c'était vite dis. Parce que si au départ, je l'avais prise dans mes bras uniquement pour la consoler, à cet instant précis, les motivations qui me poussaient à accepter de la garder contre moi étaient bien différentes et bien moins nobles. J'aimais bien la sentir contre moi, j'aimais bien qu'elle cale sa respiration sur la mienne et que ses cheveux me chatouillent le nez. Je devais pas ressentir ça, je m'enfonçais de plus en plus dans mon bourbier, mais j'aimais trop sentir ses petits bras se resserrer autour de mon ventre. 

SUR TES LÈVRES SUCRÉES [FRAMAL]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant