Si je dois dire quelques mots de mon père, ce sont ceux-ci. Il a toujours eu un ego surdimensionné. Le pire, c'est qu'il aime à le montrer, à tous ceux ou celles qu'il considère comme inférieurs à sa personne.
Je m'appelle Narcisse, comme lui. Ce prénom tout droit sorti de la mythologie grecque correspond très bien à l'homme qu'est mon géniteur. Tous ne cessent de me rabâcher à quel point c'est un honneur pour moi, fille insignifiante, de porter un nom masculin. De l'avis de père, je suis loin de me montrer digne d'un tel héritage nominal.
Ah oui, point important. Je suis une fille. Malheureusement pas des plus ordinaires, à mon avis.
Premier point particulièrement détestable, je ressemble bien plus à mon père qu'à ma mère. Nous portons tous les deux la même différence étrange. Nos yeux jaunes, semblables à des endoloris. Comme si cela ne suffit pas à faire la différence, j'ai un retard de croissance de plus de deux ans. Ma carrure est déjà masculine, ce qui est loin de plaire à mère, qui espère encore aujourd'hui avoir une guêpe pour fille. Je l'ai compris très vite. Je ne suis certes pas une experte en Médicomagie, mais je sais que j'ai de loin dépassé la limite de minceur pour mon âge. Pourtant, cela ne lui suffit toujours pas. Au contraire, mon visage caractéristique de la famille aristocratique fait parfaitement l'orgueil de mes parents. Mes traits naturellement froids et hautains me donnent la gerbe. C'est pourtant ces mêmes traits, d'une beauté bien trop parfaite, qui est chérie par toutes les lignées de sang-pur. Ils semblent si aisément dire « Je suis supérieur au reste du monde. ».
Quelle fierté d'avoir un sang si incestueux dans les veines ! Tous sorciers depuis plus de dix générations, beau désordre dans l'arbre généalogique. Nous nous vautrons dans la masse d'argent entassée par nos ancêtres, tous aussi avares les uns que les autres. Nous nous cloîtrons dans de grandes demeures vides et hostiles, où nous sommes servis comme des rois par des êtres surexploités.
La vie y est un long poison infernal, pour celui qui cherche à échapper aux règles. La liberté est attrayante, lorsqu'on l'observe depuis la fenêtre de nos cages dorées. Mais elle est aussi effrayante, pour celui qui ne connaît rien de plus que son doux jardin.
Je crispe ma mâchoire, fermant instinctivement les yeux, alors que j'entends un énième cri étouffé. Famille maladivement folle. Mon parchemin, posé sur le bureau, est rempli d'un flot continu de mensonges. Toujours les mêmes nouvelles. Sans un seul remord, je raye d'un coup de plume une phrase particulièrement désopilante. Du moins, de mon point de vue. Pourquoi me plaindre d'un professeur de musique ? Ridicule. Je ne l'ai pas vu depuis un mois.
Un mois... Je suis enfermée dans cette maudite chambre depuis un mois. Je peux m'estimer chanceuse de n'avoir rien eu de plus. Beaucoup n'ont même pas cet instant de répit. Si je ne reçois aucune lettre aujourd'hui, je vais devoir me trouver un nouveau refuge dès demain.
J'ai toujours rêvé de pouvoir quitter ce manoir, de ne plus porter le nom de Bellencours. Mais jusqu'ici, je ne me suis jamais figuré les problèmes que cette brusque prise de liberté pourrait m'apporter. Une enfant de onze ans, sans nom, sans habitat et sans magie... Devoir mendier dans un monde de sorciers où la plupart des gens me détestent pour mes origines ne m'enchante guère. Pas plus que de devoir me confronter au reste des sorciers qui ne vont pas hésiter une seule seconde à me tuer pour avoir eu l'affront d'être née comme une simple Moldue. Comme si j'avais pu un jour décider d'avoir de la magie en moi ou non.
Mais je ne m'inquiète pas tant que ça pour moi. Je ne m'en sors pas si mal... Je suis un miracle pour mère, totalement stérile. Si ça n'avait pas été le cas, j'aurais été déshéritée bien plus tôt.
Je vais donc quitter la communauté magique dès l'aube. Rejoindre le monde moldu est ma seule chance de survie. Je suis assez fière de dire qu'il n'a aucuns secrets pour moi.
En vérité, ce qui m'inquiète le plus, c'est ceux que je laisse derrière moi. Il y a mon fiancé, d'abord. Sa famille va devoir lui trouver une nouvelle future épouse. Le mariage arrangé est sans doute ce qui le terrifie le plus. Il n'a jamais aimé l'idée que je sois sa fiancée. Pourtant, nous sommes amis de longues dates. Alors une inconnue... Ensuite, il y a ceux qui viennent de l'enfer, comme on l'appelle. Il a été si difficile de les ôter des griffes de mes géniteurs. Aucun d'entre eux ne mérite ce qui va arriver, si je déserte mes appartements.
Tout va beaucoup trop vite pour moi, depuis quelques années. Les questions qui m'ont toujours paru dérisoires, sont aujourd'hui terriblement dangereuses. Qui sait ? Peut-être est-ce déjà trop tard pour eux. C'est peut-être leurs cris qui résonnent en dessous de moi. Après tout, ça fait une éternité que je n'ai vu personne, en dehors de Wigini mon elfe de maison. Et c'est à peine si elle prend le temps de m'apporter les lettres de mes soi-disant amis avec mon plateau repas. Je n'ai aucune idée de ce qui se déroule dans mon propre château.
Je regarde à nouveau mon parchemin avant de soupirer et le mettre en boule. Je ne peux donc jamais écrire une phrase sans faire de fautes ? Le médicomage de la famille a parlé d'une dysorthographie. Un mot savant pour dire que je suis incapable de rédiger une lettre convenable.
Je fixe mon plafond, d'un vert aussi écœurant que le reste de mes appartements. Cette couleur me rend malade. Elle est toujours présente, comme l'argent et les serpents qui s'insinuent jusque dans les plus petits bibelots. Écrire un message n'est pas une mauvaise idée, maintenant que j'y pense. Qui peut s'apercevoir d'une promenade dans mon appartement ? Personne. Alors qui peut bien voir si je le quitte en pleine nuit pour rejoindre une autre de mes suites et donner mon mot ? Si je fais vite et bien, Wigini n'aura même pas besoin de signaler mon absence.
Un claquement sec me fait sursauter, suivi par un flash. Wigini apparaît alors, s'inclinant bien bas, ses oreilles tombantes et son petit nez en trompette touchant le sol. J'attends qu'elle se redresse avant de montrer silencieusement une chaise. Une fois la jeune elfe assise, je l'invite d'un coup de tête à parler. Peut-être y a-t-il un peu d'espoir.
« Lady Bellencours souhaite féliciter maîtresse pour son admission à Poudlard l'école de magie, Maîtresse. »
Je ne me suis donc pas trompée. Cette maudite lettre est enfin arrivée. Un mois de retard, tout de même. À croire que l'école a choisi l'oiseau le moins expérimenté pour m'apporter ce courrier salvateur. Celui qui, par une simple écriture, a prouvé ce que je n'ai jamais su montrer. Malgré mon manque flagrant de magie, je suis bel et bien une sorcière digne de ce nom. Il va sans doute me falloir encore un peu de temps avant de pouvoir faire un sortilège. L'école va avoir des surprises, Poudlard ne s'attend sûrement pas à ça.
« Y a-t-il autre chose, Wigini ?
– Lady tient à préciser que le Lord en a été informé, Maîtresse. »
C'est fini. Je n'ai plus à m'inquiéter de cette histoire de reniement. Ma liberté chérie va devoir attendre.
« Bien. Puis-je donc sortir ? »
Wigini se terre légèrement contre elle-même, ses deux grands yeux humides brillant avec peur. Je me mets donc à susurrer dans un ton qui, je l'espère, est rassurant. « Parle, Wigini. Je t'écoute.
– Lady désire voir Maîtresse auprès de son fiancé pour le repas, Maîtresse. Les Malfoy souhaitent faire les achats scolaires de leur héritier en présence de la jeune Narcisse Bellencours, Maîtresse.
– Aujourd'hui ?
– Oui, maîtresse.
– Wigini, y es-tu pour quelque chose ?
– Oh non, maîtresse ! Wigini sait que ça ne plaira pas à la jeune Narcisse Bellencours, maîtresse.
– Alors pourquoi sembles-tu t'attendre à ce que je te punisse ? T'ai-je déjà donné un coup ? » Elle nie de la tête. Je lui souris donc faussement et reprends calmement. « J'aimerais me préparer. Préviens les autres elfes, s'il te plaît.
– Oui, maîtresse. »
Wigini se lève et s'incline à nouveau. J'ai dû travailler très dur pour en arriver là avec elle. Depuis mes huit ans, elle a pris pour habitude de se punir d'elle-même à chacune de nos conversations. Elle trouve toujours quelque chose pour le faire... Du moins, la plupart du temps. Je sais maintenant comment m'y faire pour l'y empêcher. Je crois que je n'ai jamais été aussi fière d'arriver à quoi que ce soit avec un elfe. Nous ne nous sommes jamais appréciées. Ou disons plutôt que notre relation s'est considérablement refroidie depuis sa trahison.
À mon souvenir, Wigini s'est toujours occupée de moi. J'ai toujours été sa seule et unique maîtresse, bien qu'elle obéisse plus à mes géniteurs. Sa mère m'a élevée jusqu'à mes quatre ans, où elle a rendu son dernier soupir. La jeune elfe, à peine plus âgée que moi, s'est donc retrouvée avec ce dur labeur. Une seule année d'écart... c'est tout ce que nous avons. Nous avons grandi ensemble et pourtant, elle m'a toujours vu comme un être supérieur. C'est ce que lui a enseigné sa mère, après tout. Je n'ai jamais compris cette lubie de considérer les elfes comme des sous-êtres. J'ai rapidement compris qu'on ne doit jamais donner son propre avis ici, c'est ce que m'ont appris mes précepteurs. Une opinion est une arme qu'il faut manier avec soin... À une époque, j'ai été assez sotte pour me couper avec. Je me suis tue, bien sûr.
J'étais petite, je ne comprenais pas tout. J'avais besoin d'une dernière leçon. Afin de protester contre cet esclavage, je m'étais tout simplement arrêtée de donner des ordres. Je ne savais pas qu'un elfe finirait par en parler à mes parents, par pure loyauté, mais aussi par conviction.
Il a fallu que ce soit Wigini.
Pour me punir, mère a ordonné qu'on m'enferme pendant trois semaines, mais les choses se sont arrêtées là. Sotte que je suis, j'ai donc rapidement repris mes "mauvaises fréquentations". Ce qui est, aux yeux de mère, un crime impardonnable. Je l'ai d'ailleurs très vite compris, lorsqu'elle est revenue. Je me souviens avoir été prise de frayeur en la voyant entrer d'elle-même dans mes appartements. Nous ne nous parlons jamais en dehors des réceptions, occasions parfaites pour me montrer mon infériorité. Quant à moi, je la vois bien plus souvent qu'elle ne le pense, mais c'est toujours aux cachots. Alors qu'elle décide de me rendre visite pour un travers avait quelque chose d'assez effrayant. Après cela, la décision est très vite tombée. Père en a été averti, afin d'éviter toute récidive...
Je me redresse en prenant une grande inspiration, avant de faire les cent pas. Je ne dois pas y penser. J'ai tenu bon alors que j'ai une peur bleue des espaces fermés. Il est vraiment stupide de me provoquer une crise d'angoisse avec ce type de pensées. Je m'avance précipitamment jusqu'à la fenêtre et l'ouvre en grand, passant la tête pour savourer l'air extérieur.
Ce soir, il n'y aura pas d'escapades nocturnes. Dans le cas contraire Elizabeth ne me le pardonnera jamais, mais comment pourrais-je lui en vouloir ? Après un mois enfermée, il serait malencontreux de me faire prendre cette nuit. Je ne survivrais pas.
Avec un soupir, je referme la grande fenêtre et tire légèrement les rideaux de velours. Le temps paraît si long... Pourtant, je suis bien placée pour savoir que la vie n'est qu'un court passage. Vais-je un jour pouvoir profiter de ce minuscule séjour sur terre ? Je n'en suis pas certaine. Mais il n'y a aucune raison de ne pas espérer. Les choses peuvent changer du tout au tout. Ça aussi, j'ai dû l'apprendre tôt. Je m'en souviens encore.
C'était au mois d'août. J'avais six ans et j'étais une véritable démone déguisée en petit ange. Du moins, du propos d'Elizabeth. Je m'étais glissé dans la chambre de mon fiancé sans prendre la peine de le prévenir, puisque j'agissais dans une intention des moins louables. Il faut dire aussi que ce petit blond prétentieux et coincé de Drago Malfoy m'horripilait au plus haut point. Pourtant, nous nous connaissions depuis notre naissance, nous pourrions croire que je m'étais habituée à son comportement depuis le temps... Mais j'ai toujours été une fille particulièrement bornée, si on en croit mes précepteurs. J'ai donc été particulièrement surprise en découvrant que Drago Chieur Malfoy était en train de lire une bande dessinée moldue avec Dobby. Déconfit, il s'était vite relevé du tapis sur lequel il était en tailleur, pour ranger les preuves. Il était bien trop inquiet pour faire une de ses crises d'enfant pourri gâté.
Ce jour-là, j'ai pu voir la face cachée de celui qu'on surnommait déjà « Prince des Serpentard ».
De quelle manière j'ai bien pu réussir à m'entendre avec un tel peureux est encore la question. Mais les choses sont ainsi et je suis plutôt contente qu'il sache tous mes secrets comme je connais les siens. Si nous ne sommes pas prêts à nous marier, nous pouvons nous soutenir mutuellement dans ce monde sans couleur. Le revoir va certainement me faire un bien fou. Et ce, même si cela m'oblige à saluer conventionnellement Le Grand Lord du clan Malfoy, parler jonquilles et roses avec sa lady et m'habiller adéquatement.
Je m'assieds contre mon lit en soupirant, avant de me laisser aller en arrière, grimaçant de douleur alors que le dos percute le matelas. Depuis quelques heures, la marque s'est ravivée. Cela fait bientôt trois ans qu'elle est gravée dans ma chair et je suis toujours aussi incapable de la supporter. Et dire que, dans quelques minutes, elle sera en contact permanent avec cette chose que les elfes appellent par euphémisme « Modeleur ». Cet instrument de torture censé m'habituer au corset.
Je soupire et me redresse juste à temps pour voir un flash. Face à moi, deux petits elfes apparaissent et s'inclinent avec conviction.
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Au Clair de Lune : T1 La nuit des Hommes
FanfictionNarcisse Bellencours ne demandait pas grand-chose, juste être libre et se sentir en sécurité. Que cela passe par devenir une Grande Lady et condamner ses parents à Azkaban n'était en aucun cas dans ses projets. Mais comme toujours, Dumbledore, notre...