ALCOOLIQUE

PROLOGUE

Les minutes s'écoulèrent, interminables, tandis qu'elle fixait le verre en cristal, posé délicatement au centre de la table basse. La pendule sonna minuit. Chaque seconde demeurait une torture. Le son claquait dans le silence, d'un bruit grave et puissant.
Son attention porta un instant sur l'objet ancien dont les claquements sinistres semblaient vriller ses tympans et se répercuter en un écho diabolique dans tout son corps. Il atteignait son crâne, démolissant le reste de lucidité qui persistait encore et toujours, puis se dirigeait lentement vers son coeur jusqu'à ce qu'elle n'entende plus que ce craquement assourdissant empli d'une once de douleur.
La solution de facilité s'imposa alors à elle comme une évidence. Le verre.
Seul le liquide ambré qu'il contenait pourrait la débarrasser de ses troubles et lui redonner du courage.
Elle saisit ainsi le cristal glacial. Le liquide irradiait sous les néons dorés du salon qui demeurait, comme chaque soir, entièrement dénué d'une présence humaine autre que la sienne. Le calme absolu.

Une voix retentit alors dans son crâne et se répercuta sauvagement jusqu'a ne plus s'arrêter. La sienne. Cette illusion lui transperça le coeur.

Ne deviens pas comme elle.

Son esprit vagabonda alors en direction de sa mère. Celle qui, cette nuit encore, ne rentrerait pas. Celle qui ne vivait plus dans cette maison. Sans doute, trainait-elle dans un bar miteux. Surement, buvait-elle tristement en compagnie d'un vieux pervers complètement saoul prêt à se jeter sur elle. Et elle, bien évidemment, accepterait sans réfléchir. Elle le suivrait. Il l'attraperait par le bras, la pousserait avec violence dans sa vieille bagnole défoncée, l'entrainerait dans son appartement moisi. Elle, ne comprendrait pas bien ce qui lui arriverait. Tituberait à chaque pas. Se rattraperait au bras de son compagnon solitaire dont le souvenir se serait dissipé de son esprit le lendemain. Prononcerait des paroles intelligibles. Parlerait peut-être de sa fille dont elle était soit disant fière.

La femme serait entraînée vers le salon par le salaud. Il se collerait à elle. Humerait son parfum féminin bas de gamme. Tâterait sans gêne sa poitrine généreuse. Poserait ses mains immondes sur ses hanches. Ne chercherait nullement à lui parler, à découvrir qui elle est ni même à apprendre son nom. Il commencerait à se déshabiller tandis qu'elle, suivrait le mouvement, complètement hébétée. Il se frotterait contre elle. Puis se jetterait sur la pauvre femme en quête d'un quelconque sentiment de bonheur, quoique trop éphémère, pour la délaisser à la seconde où son corps se détacherait d'elle.
Il s'endormirait alors contre la silhouette brûlante de SA mère. La laissant sans un mot le matin suivant alors qu'elle se dépêcherait de rassembler ses affaires pour rentrer chez elle.

Non! Ne deviens pas comme elle!

Son esprit embrumé la suppliait de rester un minimum sobre, juste assez pour être consciente de son mal-être profond. Elle tenta d'ignorer la voix qui l'implorait avec tellement de douleur de vider le verre dans l'évier et de partir se coucher.

Elle chercha un moyen désespéré d'y échapper, de survivre à ce son douloureux. Mais la soif, plus que tout, la tenait. Elle ne pouvait supporter une seconde de plus à subsister sans la chaleur de l'alcool dans ses veines. Dépendante, pleine d'un sentiment ignoble qui lui déchirait le coeur, tandis que sa gorge brûlait sous des flammes invisibles, elle fondit en larmes alors que des sanglots interminables s'échappaient de son être.
Une larme roula le long de sa joue et atterrit contre la paume de sa main. Elle l'essuya rapidement en tentant de stopper ses pleurs déchirants.

Sa main marmoréenne saisit alors le verre dans lequel un liquide brun tremblait. Elle le dirigea vers ses lèvres. Lorsque le cristal la frôla, elle sentit des centaines de glaives lui transpercer la gorge et les larmes jaillir.

Elle sombra alors dans un cauchemar malsain où tout n'était que noirceur et douleur permanente.