PDV de Kate:
L'adolescente observa hâtivement la silhouette que l'immense miroir de sa chambre lui renvoyait: une fille élancée, d'une pâleur sépulcrale, et aux épais cheveux rougeoyants qui s'emmêlaient entre eux dans une cascade désordonnée à l'allure "sauvage", lui renvoya une moue insolente. Elle passa un tee-shirt trop large et un bas de jogging gris, prit soin de se démaquiller- Benjamin se ficherait éperdument que ses yeux soient charbonneux ou non- puis sortit deux paires de baskets de son placard, hésitant entre des vieilles tellement usées qu'elles menaçaient de s'effriter, et des tennis bien trop récentes à première vue pour une course dans la forêt.
La jeune fille franchit le couloir la menant au salon, sautillant de façon puérile, un élastique dans la bouche et les mains appliquées à retenir sa chevelure indomptable en une queue de cheval haute.
"J'hésite entre des baskets et des tennis!" chantonna-t-elle joyeusement à l'attention de Benjamin, assis confortablement sur le canapé, ses grandes jambes croisées.
Il ne parut pas faire attention à sa question, trop occupé à fixer son portable avec intérêt, les sourcils froncés tant il semblait concentré.
Elle avança à grands pas jusqu'à lui et, se baissant, entoura ses épaules de ses bras pâles.
"Qu'est-ce-que tu fais?" murmura-t-elle à son oreille.Il tourna la tête vers elle et la fixa, son visage à quelques centimètres de la rousse, inclinant légèrement son téléphone vers lui pour que l'écran lui soit hors d'accès.
Benjamin déclara alors platement:" Oh... Je regarde juste les nouvelles... Facebook... La vie des gens..."
Elle posa les genoux à terre et l'observa minutieusement.
"_ Et alors? demanda-t-elle distraitement.
_ Des gens se mettent en couple, d'autres s'engueulent. Certains font des groupes pour des fêtes, d'autres encore racontent leur vie. Normal, quoi."
Son intonation était passive, voire trop.
Kate se hissa par-dessus le sofa puis retomba lourdement entre les jambes de son interlocuteur."Ben... Qu'est-ce-que tu me caches..." ordonna-t-elle en soupirant, soupçonneuse.
Il haussa les épaule et prit un air innocent.
"_ Bah rien!
_ Ça ne te dérange pas que je vois alors?"
Son visage eut un éclat d'appréhension, signe qu'il se passait quelque chose, puis il lui tendit l'objet du délit, résigné."C'est pas vrai...."
Elle observait cette page, cet écran, ces milliers de pixels réunis pour animer une vision ébranlante. Déchirante et douloureuse.
Une discussion accessible à tous était ouverte, traitant uniquement de l'humiliation ressentie par elle-même ce mardi là. Les commentaires se succèdaient, tous plus cruels et dédaigneux les uns que les autres.
Certains affirmaient qu'elle "n'avait que ce qu'elle méritait".
D'autres que "à sa place, ils n'oseraient plus jamais revenir au lycée".
Il s'agissait pour la plupart d'insultes, ou de méchancetés à ses dépends.
Quelques uns la plaignaient, affirmant qu'elle leur avait fait pitié, cette unique fois où elle avait laissé éclater ses émotions au grand jour.Ces paroles ne purent qu'appuyer encore plus son opinion quant à la cruauté des gens, et l'enfoncer profondément dans une abysse de douleur, barrant irrévocablement le sourire éclatant encadrant son visage quelques minutes plus tôt, hâtivement remplacé par un odieux rictus et des larmes déchirantes.
Elles furent éparses, au début, puis ruisselèrent, toutes plus douloureuses les unes que les autres, qui affluaient inévitablement, éternellement.
Kate comprit bien vite que le repos qu'on lui avait accordé, cet instant de bonheur fuyant n'était qu'une brise éphémère, et qu'à présent elle pouvait l'oublier à jamais.PDV de Ben:
Benjamin ne savait que faire. Il l'observait, elle, cette déesse mystérieuse dont le regard illuminait sa vie, ces mêmes iris à présent débordants de douleur.
Lui posant timidement une main sur l'épaule, qui glissa jusqu'à ses doigts de marbre, il l'approcha de lui pour la coller contre son torse. Le jeune homme lui murmurait des paroles réconfortantes au creux de l'oreille, tandis que leur étreinte apaisante se poursuivait, que les larmes tarissaient, et que le souffle de Kate redevenait régulier.
Il sentait toutefois son cœur tambouriner dangereusement dans sa poitrine, sur le point de jaillir d'un moment à l'autre.
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ALCOOLIQUE
RomanceL'alcool. Unique compagnon d'infortune. Seul bonheur dans une existence. Mais nocif. Kate a seize ans et déjà sa vie lui apparaît comme gâchée, achevée. Un trou noir enveloppe son quotidien. Ses songes. Son passé. Tandis qu'elle tente vainement d...