ALCOOLIQUE

CHAPITRE 6:

PDV de Kate:

"Et si tu restais?"
Non!
Non.
Non...
N...
Il la fixait étrangement, et elle se sentit soudain comme hapée par la puissance de son regard émeraude. Et sans pouvoir en donner la signification, Kate fut prise d'une envie ahurissante d'aquiescer, comme si une part en elle la forçait à accepter, alors qu'elle n'en connaissait pas la cause.
La jeune fille observa Ben un moment, longuement. Elle se mordit la lèvre, songeuse, et pesa le pour et le contre.
Pour: il n'y en avait aucun.
Contre: des centaines de millier lui parvenaient.
Cependant, contre toute attente, elle se dirigea vers la chaise en plastique et s'y assit silencieusement.
Les yeux du jeune homme semblèrent vriller, scintiller pour de bon, et elle crut apercevoir la commissure de ses lèvres s'élever, puis retomber en un visage neutre.

PDV de Ben:

Son corps voulait l'entrainer dans une danse effrénée pour témoigner de sa joie profonde, mais il se contenta d'hocher la tête en silence, un sourire minime éclairant son visage.
Kate attendait toutefois, perplexe, le visage sévère. Elle avait repris sa position d'antan, soit le port de tete distingué et les mains sur les genoux. La jolie rousse semblait attendre une phrase. Un petit quelque chose. Peut-être même une raison pour expliquer la volonté de Ben d'être à ses côtés, mais il n'était pas près de la donner. Il fallait déjà qu'il la trouve.
"_ Tu veux quelque chose à boire?" proposa-t-il tout de même, sur le point de se lever.
_ Non. Merci."
Elle gardait un ton impassible, aussi tranchant qu'une lame de rasoir.

Ils s'observaient à présent depuis une quinzaine de minutes, sans que quiconque ne prenne la décision de briser le silence.
J'aurais dû la laisser partir...
Kathryn se mit soudain à sourire, le visage éclairé, fixant l'horizon. Il se tourna et observa la scène.
Une fillette tentait de jeter le contenu de son plateau dans la poubelle, mais le levier ne se soulevait pas, et elle restait là, bêtement, à s'acharner comme une forcennée. Elle n'avait pas cinq ans.
Tout à coup, un petit garçon, à peine plus âgé, apparut, semblant sortir de nulle part. Il lui prit le plateau des mains et le posa au dessus de la poubelle en montant sur la pointe des pieds. Il saisit alors la main de la gamine qui devait être sa sœur, et ils quittèrent le fast food sous le regard amusé d'une femme, probablement leur mère.

Ben sourit face à cette scène de complicité fraternelle.
"Tu as un frère ou une sœur?" demanda-t-il à une Kathryn songeuse, moins crispée.
Elle l'observa l'air perdu, puis répondit d'une voix rauque:
"Non. Mais j'aurais beaucoup aimé. J'ai toujours été seule."
La phrase parut se répéter dans le crâne de Ben sans qu'il puisse en deviner la provenance.
"Et toi?" demanda-t-elle.
Il se figea, stoïque.
"Non." finit-il par prononcer d'une voix sourde.
Le silence parut les envelopper à nouveau dans un voile gênant.
Mais Kate ne semblait pas prête à s'en aller, aussi étrange que cela puisse paraitre. Ben baissa la tête pour fixer ses doigts alors que l'adolescente gardait son port de tête impeccable.
"Encore merci pour le dirlo. Je... C'était cool."
Il ne fit qu'hocher la tête.
Elle se racla la gorge.

PDV de Kate:

Non mais qu'est-ce-que je fou là? Et avec ce mec bizarre en plus. Il a pas arrêté de me fixer bizarrement...
Ben leva soudain la tête et la toisa étrangement. Ses yeux semblèrent fouiller ceux de Kate en quête de quelque chose qui paraissait important aux yeux du jeune homme.
"Pourquoi est-ce-que tu dis que tu es seule?"
Elle ouvrit de grands yeux stupéfaits. Puis se calma et déclara d'une voix qu'elle voulut neutre et calme:
"_ N'est-on pas toujours seule?
_ Je ne comprends pas.
_ Et bien... À y réfléchir... Nous naissons seuls. Nous mourons seuls. Et les connaissances, les rencontres que nous faisons ne sont que dérisoires. Ce n'est qu'un passage entre une solitude constante et une autre plus effroyable encore.
_ C'est vraiment ce que tu penses?
_ Oui. Sinon je ne le dirais pas.
_ 'Il est facile de se tenir avec la foule. Il faut du courage pour rester seul'. Gandhi
_ Pardon?
_ C'est une citation de Gandhi.
_ Et alors?
_ Il a raison."
Ben parut tout à coup se rapprocher d'elle pour lui effleurer timidement les doigts. Elle ne se déroba pas et continua de fixer les iris émeraude de son correspondant.
"Alors... Il s'agit donc de courage? La solitude est un acte de courage selon toi?"
Il rit doucement. Elle ne comprit pas pourquoi.
"Pas moi. L'un des hommes les plus sages qui n'ait jamais existé."
Elle voulut le chamailler à son tour.
"Et tu ne t'es jamais dit qu'il ne s'agissait que de mots creux qui donnent une impression de profondeur infinie?"
Il sourit de plus belle.
"Tout n'est qu'une question de point de vue."
Ses lèvres s'étirèrent a leur tour.
"Alors la solitude devient la plus grande preuve de courage? Ça me plaît." décida-t-elle en s'affaissant sur sa chaise.
Il l'observa. Ses yeux semblaient la dévorer. Elle fit mine de ne se rendre compte de rien.
"Moi aussi."