Chapitre 21

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En dépit de mon chagrin à l'idée d'écourter nos vacances, je devais avouer que revenir à Normal Valley me fit chaud au coeur. Puisque l'école primaire n'ouvrirait ses portes qu'à partir du mois d'Octobre, j'allais avoir un peu de temps pour y reprendre mes marques et réorganiser un peu ma vie. Lorsque nous posâmes le pied devant les grilles doubles protégeant Someplace Else du reste du monde, je sentis une douce chaleur envelopper mon coeur et le bercer tendrement. Je vouais un amour sans limites à la vieille bâtisse, et mon regard lumineux lorsque je traînais ma grosse valise jusqu'en haut du perron fit renifler Ivana qui resserra les pans de son manteau de fourrure autour d'elle.

-On ne croirait jamais que tu t'apprêtes à rentrer dans un Manoir digne des pires films d'épouvante, grommela-t-elle.

-J'aime beaucoup Someplace Else, protestai-je en sentant Maestro sourire dans mon dos. Je m'y suis toujours sentie à l'aise.

-Eh bien pas moi, rétorqua Ivana en frissonnant. J'ai sans cesse l'impression d'être scrutée où que j'aille.

Pour appuyer ses dires, elle tourna des yeux inquiets tout autour d'elle lorsque nous fîmes irruption dans l'immense hall d'entrée du Manoir. Il sentait bon la cire à bois, la légère obscurité qui y régnait en maître donnait un relief étrange aux différents objets alignés sur les meubles et dans les vitrines anciennes, et quelques membres du personnel étaient venus à notre rencontre en nous adressant des sourires polis.

-Votre voyage retour s'est déroulé sans encombres?, interrogea une femme d'âge mûr.

-Non, rien de fâcheux, répondit Maestro d'une voix de velours feutré qui prit une autre dimension ainsi répercutée dans l'écho de la demeure ancienne. Mademoiselle Dangton et Ivana resteront avec moi pour quelques temps encore, j'aimerais que l'on prépare la chambre habituelle de ma cousine et la mienne, si possible.

-Et pour Mademoiselle?, interrogea l'homme de main de Maestro en arquant ses sourcils épais.

-Elle partage ma chambre, ne vous en inquiétez pas, sourit le Maître en posant une main légère dans mon dos.

La déclaration de leur employeur dût les surprendre, car les deux domestiques me lancèrent un regard ébahi avant de nous saluer poliment pour prendre congé de nous. Maestro me fit ensuite signe de le suivre jusque dans le salon principal où Ivana avait retiré sa fourrure et tendait les paumes de ses mains devant l'imposante cheminée au sein de laquelle un feu ronronnait paisiblement. Elle tourna vers nous son menton pointu, et un sourire sombre fendit son visage pâle.

-Quelque-chose me dit que tes employés te croyaient gai.

-Je n'ai jamais invité qui que ce soit ici!, répliqua Maestro agacé. Encore moins dans ma chambre, ils ne sont pas habitués à me voir partager mon lit.

-Oui, c'est ce que je dis, ricana-t-elle en ignorant le regard assassin que lui lança son cousin.

-Quelque-chose à changé ici, non?, intervins-je en tournant la tête de tous les côtés.

Je n'étais entrée qu'une seule fois dans cette pièce du Manoir, lorsque Maestro m'avait fait visiter son chez lui avant que nous nous attablions. L'intérieur était similaire au reste de l'habitation, évidemment: le sol était dallé, les murs étaient recouverts de tableaux représentant des paysages ou de portraits anciens, et la majeur partie du mobilier était d'un bois sombre parfaitement astiqué. Malgré cela, l'ambiance de la pièce semblait complètement différente, et je lorgnais les interrupteurs et les ampoules au plafond en soupçonnant un changement de lumière ou de teinte d'abat-jour. Maestro m'observa analyser les alentours sans rien dire, et sa main reprit sa place dans le creux de mes reins, légère comme une brise froide, mais son contact me brûla immédiatement. Son regard tendre n'arrangeait pas la morsure électrique qui dansait dans mon ventre, et il contempla mes joues roses avec son éternel sourire en coin.

My Ghosts StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant