Chapitre 24

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-Je t'assure que tout va bien, Ollie. Manges, maintenant. Tu as une journée entière de travail qui t'attend.

Maestro poussa une corbeille de pains ronds dans ma direction avec un haussement de sourcils impatient qui me fit plier. Je lâchais un soupir bruyant en découpant la mie rageusement pour y étaler de la confiture de mûres sous le regard attentif du Maître, puis je mordis sans entrain dans le pain en détournant mes yeux de ses deux iris dorées. Le ciel blanc-gris et la brume qui rendait invisible les buissons près de la baie vitrée laissaient présager une journée morne, m'imaginer dehors dans la fraîcheur de l'Automne n'avait rien de très enthousiasmant, surtout pour une préparation de rentrée. La caresse fraîche des doigts de Maestro contre mon poignet me fit frémir, mais je m'appliquais à ignorer son visage tourné dans ma direction.

-Tu souhaites réellement me faire la tête toute la matinée?, susurra-t-il d'une voix qui baissa de quelques octaves. Je ne vais pas te voir de la journée, ça me chagrine.

-C'est donnant-donnant, grommelais-je en tendant la main pour saisir ma tasse de café. Puisque tu ne veux rien me dire, je ne te dirais rien moi non plus.

Il garda le silence lorsque je bus le contenu de ma tasse fumante, mais il glissa deux doigts sous mon menton lorsque je l'eus reposée sur la table. Evidemment, le contact froid de sa peau et la vision irréelle de ses yeux fantastiques firent vaciller ma détermination, et je dus me cramponner à mes genoux pour ne pas me liquéfier comme à mon habitude. J'étais certaine que Maestro l'avait déjà remarqué, mais il ne parût pas vouloir s'en amuser. Au contraire, son visage était de marbre, son regard rivé dans le mien semblait vouloir lire en moi jusqu'aux tréfonds de mon âme.

-Je t'ai dit ce qu'il y avait à savoir, déclara-t-il. Je tournais en rond, je n'avais aucune inspiration pour le piano, alors j'ai décidé d'explorer le grenier.

-Ce n'est pas tant le fait que tu aies décidé d'explorer les pièces condamnées sans moi qui me dérange, répliquai-je agacée, c'est la posture dans laquelle je t'ai retrouvé que j'aimerais comprendre.

-Une simple absence, dit-il en haussant les épaules.

-C'est ça, reniflai-je avec humeur.

Il me lança un regard agacé auquel je répondis par une mine courroucée feinte à laquelle il parût croire sans problèmes. En vérité, j'étais folle d'inquiétude. Je n'avais jamais été confrontée à ce genre d'attitude vis à vis de Maestro, car il était constamment là où je l'attendais le moins, mais alerte. De mémoire, je n'avais jamais vu le Maître dégager autre-chose que de la puissance, très loin de cette sensation de vide immense qu'il m'avait fait ressentir lorsque je l'avais retrouvé dans le grenier du Manoir.

Face à mon refus de poursuivre, Maestro enroula nerveusement sa main pâle autour du pendentif encerclant son cou gracile. Les veines blues qui couraient le long de son avant-bras me firent une drôle d'impression, mais les iris dorées qui vinrent soudain se planter dans les miennes envoyèrent balader au loin la moindre pensée cohérente.

-Il me semble l'avoir déjà répété un ou deux million de fois depuis notre rencontre, dit-il. Tu n'as aucun souci à te faire pour moi, mais tu devrais réellement t'en faire pour toi.

-Parce-que tu es une menace sous-jacente?, grommelais-je. Bouh, j'ai peur.

-Cesses de tout prendre à la légère, argua-t-il en se reculant soudainement.

-Maestro, insistai-je, j'ai du te secouer comme un prunier pour que tu réalises ton état de solidification et ma présence à tes côtés. Tu peux m'offrir tous les arguments que tu le souhaites, ça, ça n'était jamais arrivé. Tu as une clairvoyance qui me dépasse.

My Ghosts StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant