Chapitre 27

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Aaaah, Halloween. Avant de faire la rencontre de Maestro, cette fête m'avait toujours particulièrement plu pour la simple et bonne raison qu'elle constituait le seul évènement qui faisait tolérer les choses étranges au coeur de Normal Valley. En tant qu'institutrice, j'étais toujours ravie de pouvoir créer un petit avant-goût de la soirée de la peur avec mes élèves, toujours fous de joie à l'idée de venir à l'école déguisés en fantôme, en monstre ou en petit chat pour les plus timides d'entre eux. Je veillais toujours à avoir des friandises diverses -les enfants allergiques à des listes de composants longues comme le bras avaient le droit eux aussi de se faire plaisir, tout de même- et nous faisions un goûter en élisant les costumes les plus soignés. Cette année là n'était pas passée à travers la petite fête scolaire traditionnelle que nous avions organisés juste avant les vacances de la Toussaint, et Richie Parker avait remporté un panier de bonbons grâce à son déguisement d'alien phosphorescent crée par les soins de Jodie, sa mère qui, je devais l'avouer, était vraiment douée avec ses mains.
A présent que le jour J était arrivé, coincée au Manoir avec une bande de domestiques et Ivana, seule et enfermée dans la salle de bains face à un carnet centenaire, je devais être franche avec moi-même: Halloween ne m'amusait plus du tout, j'étais tout bonnement terrifiée. Hébétée face au mot tracé dans une écriture très fine et qui m'était totalement inconnue, je pris la peine de retourner le carnet dans tous les sens en sachant pertinemment que mon geste ne servait à rien du tout. Affolée, je finis par contempler chaque recoin de la pièce en sentant mon coeur gonfler dans ma cage thoracique, apeurée à l'idée de voir quelqu'un surgir d'un placard ou, bien plus absurde, d'un conduit d'égout, directement dans l'évier. Lorsque j'entendis l'un des horlogers du rez-de-chaussée sonner le coup des quinze heures, j'eus un soupir profond en refermant le carnet silencieusement. Je le replaçais dans le double-fond de l'armoire contenant les serviettes éponges en priant pour qu'il y soit toujours lors de mon retour, puis je me relevais afin de sortir de la salle de bains non sans retenir mon souffle en pénétrant dans la chambre. Cette dernière, bien évidemment déserte, apaisa légèrement les nœuds de mes nerfs tendus, car rien ni personne ne semblait avoir investi les lieux. Après un coup d'oeil circulaire, je pris le chemin de l'un des salons favoris de Maestro: une pièce de style Tudor aux murs lambrissés de bois clair et trouée d'une vingtaine de fenêtres et dont chaque mur comportait des étagères remplies de volumes et d'encyclopédies en tous genres. Cette sorte de petite bibliothèque était le lieu qu'investissait généralement le Maître lorsqu'il devait travailler sur des affaires urgentes, le calme du lieu l'apaisait, et j'aimais y venir en sa compagnie pour lire des bouquins et observer en catimini son visage sublime penché sur ses feuillets. A présent dénué de sa personne, le lieu conservait son allure chaleureuse et silencieuse, mais il rayonnait bien moins que lorsque Maestro s'y trouvait. Désireuse de me vider l'esprit, je promenai tout de même mes doigts le long des étagères de livres pour y dénicher un recueil de pamphlets philosophiques. Je foulais ensuite le sol recouvert de tapis perses pour rejoindre l'un des deux gros canapés de velours oranges où je m'installais avec un soupir qui se répercuta en écho dans la pièce vide. Si j'eus du mal à me concentrer tout au long des cinq premières pages, je finis par ne plus relever le nez de ma lecture sur le reste des dix chapitres qui suivirent. Je réussis à plonger suffisamment loin dans les arguments du philosophes pour permettre à mon esprit de s'interroger lui aussi sur les sujets épineux dont il était question tout au long du volume, et lorsque je sentis mes yeux me brûler et une odeur de courge monter des cuisines, j'eus un regard pour la pendule près du bureau indiquant dix-huit heure vingt et une, ce qui me fit ciller bêtement. Comment le temps pouvait-il défiler à ce point que je ne parvenais même pas à en prendre la mesure? Avec un soupir, je regagnai le corridor chauffé pour emprunter le colossal escalier menant au rez-de-chaussée, le nez toujours baissé sur l'avant-dernier chapitre du livre que j'avais emporté avec moi. Le Manoir était désert à l'exception d'un gros corbeau qui vint se poser sur mon épaule avec un coassement grinçant, ce qui me fit sourire. Je levais deux doigts que je glissais sur les plumes sombres de son poitrail bombé.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 09, 2021 ⏰

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