Chapitre 26

108 6 4
                                    

17 Octobre

18h47

"J'ai tenté de retourner chez moi après la classe hier soir, la réaction de mon corps m'a tant surprise que je n'ai réussi à la digérer que vingt-quatre heures plus tard. Tout en dirigeant mon attention sur ma destination finale, j'ai senti un désir de rebrousser chemin si violent que la pulsion élancée dans mon corps en est devenue physiquement douloureuse. J'étais traversée d'un courant d'adrénaline puissant, ce genre de courant acide qui tend les nerfs comme des fils de fer et qui rend le coeur plus crépitant qu'un feu d'artifice.

J'ai voulu me faire violence et continuer ma route, mais à peine l'angle de la rue tourné, j'ai entendu une voix.
Pas une pensée, pas une image mentale, mais une vraie voix désincarnée avec un timbre d'outre-tombe à faire froid dans le dos.
Elle m'a distinctement crié "retournes au Manoir. Maintenant."
J'aurais probablement perdu la raison si les accents veloutés et l'impulsion derrière chaque mot était identique à celle de Maestro.
Je ne saisis toujours pas ce qui se passe, mais je ne peux décemment pas aller contre les injonctions de mon petit ami. "Petit ami", c'est un drôle de terme pour qualifier un Maître centenaire, d'ailleurs.

J'essaierais probablement de visiter le reste du Manoir seule. Quitte à éclaircir le mystère des Estrocowitzsch, autant y aller franco."

18 Octobre

21h03

" Maestro m'a appelé. S'il continue de rester évasif, son état m'a semblé bien plus alarmant que lors de notre dernier appel. Il n'a de cesse de m'assurer qu'il se porte comme un charme, mais je suis formelle: je l'ai entendu tousser à deux reprises, probablement plus, car il déguise les drôles de sons en des rires ou des raclements de gorge réguliers.

Il refuse toujours de m'expliquer ce qu'il se passe, mais son ton torturé m'empêche de lui en vouloir. Je reste persuadée que quelque-chose lié à sa famille et à sa malédiction lui lie les mains, il ne peut s'empêcher de se plaindre de sa situation et de me dire qu'il rêve d'être à mes côtés, et ses complaintes ne me poussent qu'à poursuivre mes recherches au sein de Someplace Else.

J'ai d'ailleurs de légères avancées à ce sujet: le personnel de maison semble ignorer royalement l'intérêt de Maestro pour sa condition. Ils ont tous paru très étonnés d'apprendre que leur patron sillonnait le monde afin de comprendre comment fonctionnait le sortilège et beaucoup se sont montrés véritablement ébranlés de m'entendre leur dire qu'il souhait le lever. Deux d'entre eux ont même ajouté qu'à sa place, ils profiteraient de leur immortalité et de leur rang sans se poser de questions. C'est absurde.
J'ai également tenté de leur parler du médaillon sans leur révéler toutes les facettes de ce qu'il cache, mais tous ont simplement énoncé les tableaux du Manoir représentant la mère de Maestro, rien d'autre. J'en déduis que le Maître n'a jamais cru bon de leur en parler, ni même de les questionner.

Ivana frappe à la porte, je reprendrais mes notes plus tard."

24 Octobre

12h09

"Je crois que Ivana se doute de quelque-chose.

Depuis trois jours, elle refuse de me quitter d'une semelle. Je me vois forcée d'écrire dans la salle de bains pour être sûre de ne pas être surprise. Elle prétend même préférer rester dans la chambre la nuit pour se sentir moins seule, ce que je comprends sans réellement saisir: elle qui aime être indépendante, pouvoir se balader dans le Manoir et sortir de temps en temps devrait lui plaire. Elle n'est pas soumise à un sortilège, elle.

Maestro m'appelle dorénavant le matin, et parfois il tente de m'appeler le soir. Il semble de plus en plus malheureux, et son état me chiffonne d'avantage. Hier, il m'a confié avoir une envie de pleurer de plus en plus violente, et lorsque je lui ai demandé pourquoi il n'y arrivait pas, il m'a confié que son état figé le lui en empêchait. Je n'en revenais pas, et je me suis sentie désemparée. Comment pouvait-il réussir à extérioriser ce qu'il ressentait, alors?

Il m'a rétorqué qu'il se contentait de plonger sa souffrance dans la musique: il dispose d'un piano là où il se trouve, et il à souhaité me jouer un air si déchirant que mes poils se sont dressés dans mon dos. A n'en as douter, Maestro souffre terriblement. Autant à l'intérieur qu'à l'extérieur."

29 Octobre

3h28

"Depuis le début de ce carnet, tout devient étrange, en particulier le Manoir en lui-même. J'ai très souvent entendu le bois craquer, des portes claquer, mais ce genre de bruits est naturel dans une bâtisse si vieille, non? Eh bien je le pensais jusqu'à hier soir.

En rejoignant ma chambre, j'ai vu quelqu'un y entrer précipitamment. Quand j'ai ouvert la porte, il n'y avait personne.
J'écris aux toilettes, car Ivana attend mon retour. Bien moins agréable que d'ordinaire, elle devient de plus en plus cassante et presque menaçante. Je peine à trouver du temps pour moi, je pense prendre le carnet avec moi à l'école, mais les vacances de la Toussaint me cloîtrent à la maison.

Fait nouveau: je crois que je commence à tomber malade. Si ce détail m'est apparu tout à fait banal en cette période de froid humide, il à effrayé Maestro au point d'exiger un rendez-vous médical à domicile. Le médecin devrait passer demain, mais la réaction du Maître me dépasse. Que lui arrive-t-il?"

31 Octobre

13h52

"J'ai l'impression d'assister à une espèce de déclin lorsque je relis mes écrits précédents. En voulant m'emparer du carnet -que je cache dans un double fond que seul Maestro connaît dans l'armoire à serviettes de la salle de bains- je me suis aperçue qu'il avait disparu. A la place, il trônait bêtement dans le placard qui contient mes vêtements, je suis pourtant persuadée de l'avoir remis à sa place avant hier.

A moins que je ne perde la tête."

Je laissai ma main en suspend au-dessus du carnet aux pages jaunies, le nez tourné vers la porte close de la salle de bains. Aux aguets, je plissai les yeux en détaillant le contour ornementé du bois peint en blanc et légèrement écaillé sur les pourtours de la rosace en son centre. J'avais distinctement entendu des pas en provenance de la chambre, mais la moquette épaisse étouffait tant le bruit qu'il était difficile de déterminer si mon imagination me jouait des tours ou si la maison trop ancienne faisait travailler sa boiserie. Après quelques instants d'attente, je fermais les yeux pour lâcher un soupir. L'environnement et les évènements derniers commençaient à m'atteindre, j'allais avoir besoin de me détendre si je ne voulais pas devenir complètement folle. Ma main glissa sur le carnet lorsque mes yeux s'ouvrirent, mais les lignes tracées dans une encre verdâtre me firent ciller. Par pur réflexe, je levai mon stylo bille pour en observer la fine tige d'encre bleu marine en son centre, et mon regard se perdit de nouveau dans la contemplation des lignes tracées dans une écriture totalement différente de la mienne.

"31 Octobre

14h20

Je suis là, près de toi. Je peux t'aider, mais tu ne devras en parler à personne. Pas Ivana, ni même Maestro.
Je peux t'aider à éclaircir le mystère qui entoure cette famille maudite, il te suffit d'écrire."

C'était sur, je devenais complètement dingue.

***********

QUOI? DEJA FINI?
Non, pas du tout. Mais j'aimerais construire quelque-chose de différent.
Cette fiction touche à sa fin, je pense que d'ici cinq ou six chapitres, My Ghosts Story sera enfin achevée.
Pour ce faire, j'aimerais vous plonger dans une atmosphère différente, ce chapitre me sert de transition, donc ne vous en faites pas, les prochains seront plus longs. Voyez ça comme une introduction de fin (c'est rigolo comme terme).
Je reviens au plus vite avec la suite, on se retrouve sur Daryl and Me pour le prochain chapitre qui sera publié pour ceux et celles qui lisent mes autres fictions.
A bientôt :) <3

My Ghosts StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant