Chapitre 19

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L'homme qui se tenait près de moi éclata d'un rire sonore en secouant la tête. Il agita les épaules pour réajuster sa veste de smoking en queue de pie, et lorsqu'il aplatit le col de sa chemise, je vis son alliance briller à la lueur faible des lampes posées autour de nous.

-C'est plaisant de voir des américains ici, de temps à autres, dit-il en reposant son regard brun sur moi. C'est extrêmement rare, l'aristocratie russe est un cercle très fermé.

-Je n'ai rien à voir avec ce monde là, répondis-je en faisant glisser ma coupe sur la nappe blanche de la table.

-Oh je vois, dit-il en hochant la tête. Ce sont les personnes avec qui vous étiez en arrivant?

Il eut un regard de biais pour Maestro et Ivana, en pleine conversation avec deux hommes d'âge mûr portant des costumes traditionnels couverts de médailles. Conjointement à ce que mon interlocuteur l'avait dit plus tôt, les cercles privés russes étaient incroyablement stricts, et ma présence en plein milieu de tout ce beau monde commençait à me mettre mal à l'aise. Les discussions allaient bon train, mais je n'en comprenais pas un seul mot: tout le monde parlait un russe natale, ou un ukrainien poussé, mais très peu d'entre eux ne semblait enclin à me parler en anglais. J'eus droit à des regards mauvais lorsque j'avais tenté de saluer quelques personnes, et j'avais fini par abandonner en poussant Maestro à continuer la discussion sans moi.

-Ne vous en faites pas, ajouta l'homme assis sur ma gauche en tendant sa coupe de champagne vers moi, ça n'a rien de personnel. C'est juste leur façon d'être, ici.

-Peu importe, répondis-je en haussant les épaules. Euh...

-Steven, dit-il avec un sourire. Je m'appelle Steven Wardle.

-Ollie Dangton, souris-je en claquant mon verre contre le sien.

Je vidais mon verre d'un trait sous son regard amusé, puis je le reposais en soupirant. Steven se pencha vers moi, et je le vis se rapprocher de ma chaise discrètement.

-Vous ne vivez pas ici, dit-il en plissant les yeux. Je suppose que vous faites du tourisme?

-En quelques sortes, répondis-je évasive. Je suis ici pour quelques temps, ça s'arrête là.

-Vous êtes énigmatique, tout comme eux, dit-il en jetant un nouveau coup d'oeil en direction de Maestro.

-Vous les connaissez?, interrogeai-je étonnée.

-Non, dit-il. Mais ils ont la même attitude que tous ceux qui nous entourent ce soir. Ils sont élégants, ils dégagent quelque-chose de bizarre, comme s'il valait mieux éviter de trop s'approcher d'eux. Vous ne trouvez pas?

J'observais les alentours. Je devais avouer que je ne me sentais pas véritablement à l'aise. J'étais restée assez longtemps en compagnie de Maestro et de sa cousine pour savoir que leur simple existence perturbait la majorité des personnes que nous croisions, et tout comme eux, le reste de leurs condisciples ne semblait vraiment pas enclin à partager une discussion conviviale au coin du feu. En revanche, de ce que je savais, mes deux amis étaient les seuls êtres immortels de l'assemblée, mais ça, Steven n'en savait rien. Mon demi sourire le fit secouer la tête, et il bût une nouvelle gorgée de vin en reportant son attention sur les nobles qui nous entouraient.

-Je ne vais pas tarder à rentrer, dit-il en faisant tournoyer son alliance.

-Votre femme vous attend?, interrogeai-je.

-Euh, oui, dit-il mal à l'aise.

Il fit disparaître sa main sous la table, ce qui me fit rire. Visiblement, il ne s'était pas attendu à ce que je mentionne son mariage, et son plan pour s'attirer mes bonnes graces venait de tomber à l'eau. Il se racla la gorge en desserrant la cravate attachée autour de son cou, et il fit un ultime essai en se tournant vers moi, une ébauche de sourire attrayant sur le visage.

My Ghosts StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant