Grand jour ! J'ai enfin trouvé sa gueule sur internet, elle a mis à jour son putain de profil Linkedin et elle a mis sa photo. "Ah c'est toi la salope". Betty, la maîtresse de mon mari. Une très jolie fille, un très beau sourire et de beaux yeux verts.
Ça m'a fait quoi ? Je l'ai regardée longtemps, en gros plan sur mon maxi écran, elle me regardait aussi sans avoir l'air de me connaître...Mais ça n'a rien déclenché, juste une grande froideur.
Je m'en fous maintenant.
Il part dans dix jours au salon du Bourget, là où il l'a rencontrée et je m'en fous. Il n'a qu'à aller la sauter je m'en fous.C'était il y a cinq ans et je n'ai pas pardonné.
Je n'ai pas pardonné, j'ai fait avec. J'ai choisi de sauver les meubles. Ou plutôt mon cerveau a pris les commandes pour survivre.J'ai fermé ma gueule, personne n'est au courant à part Flo.
Flo est toujours avec son mari, elle s'est adaptée, pour le récupérer, le garder. Elle est obsédée par l'idée d'aller sonner un jour à la porte de la pute pour lui dire ses quatre vérités. Elle lui avait envoyé une longue lettre bien culpabilisante mais n'avait jamais eu de réponse. Elle a découvert que son mari a eu d'autres aventures mais sans preuve formelle, et il a toujours nié forcément. Comme moi elle a choisi de vivre avec ça, pour sa famille, pour ses enfants, pour ce qu'elle a construit.
J'ai fait la même chose, pour ma famille, pour mes enfants, pour ce que nous avons construit.
J'ai enfoui le problème.
J'ai pris ma petite pelle et j'ai creusé toute seule un trou bien profond, j'y ai jeté tout le bordel dans un sac plastique (non biodégradable), bien rebouché et planté de jolies petites fleurs au-dessus pour que personne ne se doute de rien. Et j'ai bien mémorisé l'endroit.Un an après mon retour de congé maternité, comme je me l'étais promis je quittais mon travail. Comme il n'était pas question de démissionner, j'avais monté un dossier de harcèlement moral contre ma directrice pour pouvoir négocier une rupture conventionnelle. On ne pouvait plus s'encadrer et j'avais fait le tour du job. Vraiment pas mon genre de faire ça mais j'étais déterminée à foutre le camp. C'était facile, il n'y avait qu'à collectionner toutes ses conneries les unes après les autres.
Comme la vie est faite d'opportunités à saisir, je me suis lancée dans la location touristique après avoir rénové, avec mon mari, un joli petit appartement en centre ville. J'interviens aussi comme formatrice et comme graphiste free lance.
Trois jobs, indépendante, libre.Il y a deux ans on m'a découvert une hernie discale qui me pourrit la vie. Moi qui ne suis pas très calée sur le sujet médical, j'ai découvert un nouveau mot : névralgie cervico-brachiale. Douleurs dans le dos, dans le bras, c'est assez handicapant mais je peux vivre avec. Les médecins m'ont dit que la cause peut être un accident, même très ancien, ou sinon un traumatisme violent... Je n'ai jamais eu d'accident.
Mes deux premiers garçons sont bientôt indépendants, ils vont bientôt quitter le nid. Max, le petit dernier, a six ans, il est génial, c'est un petit clown bien dans ses baskets, j'espère que son futur statut de fils unique, quand ses frères seront partis, ne va pas le perturber.
La passion renaissante avec Fabrice a duré quelques mois et je me vois encore lui demander, un jour comme ça, spontanément, lors d'un trajet en voiture silencieux, "Tu crois qu'on va vieillir ensemble ?".
A présent les discussions sur tout et rien sont rares, comme s'il n'avait plus rien à raconter. Il passe son temps à se plaindre de son boulot, à aller faire du parapente et à assouvir son besoin de possession de gros jouets en s'achetant des voiles de kitesurf qu'il utilise deux fois dans l'année. Il s'est mis en tête de démissionner de son job dès qu'il aura cinquante ans pour s'occuper avec moi des appartements à touristes que j'aurai développés. Comme ça il aura encore plus de temps pour ses loisirs ? J'exagère un peu parce qu'il a bien contribué à la rénovation de l'appartement que je loue, mais sa vision du boulot commence à me saouler. Par exemple je lui ai expliqué que ça ne suffirait pas à maintenir notre train de vie (ou plus précisément son train de vie), et qu'il fallait envisager une activité complémentaire. Il s'est donc inscrit à un stage (qui nous a coûté un bras) pour proposer des vols en parapente biplace. Pour me dire, après coup, qu'il n'aurait pas le droit de faire payer le passager parce qu'il n'est pas moniteur. Ah... J'avais sans doute oublié de préciser activité complémentaire "lucrative".
Tout ça pour dire que notre conception commune de l'avenir part en cacahùete. En tout cas de mon côté. Je commence à me poser des questions. Et parfois, souvent au moment du café le matin, je me surprends à mal supporter l'écho silencieux de mes monologues.
Je suis dans ma 49ème année. L'horreur de voir arriver la cinquantaine. C'est l'âge qu'avaient mes parents quand je me suis mariée et je les trouvais vieux. J'ai l'impression que je n'ai plus qu'un an à vivre.
Mais là il m'arrive un truc...
Une cascade de pétales multicolores, une pluie tropicale chaude et enivrante, un raz de marée de nouvelles sensations qui font paraître bien fades les jolies petites fleurs que j'avais plantées.
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La femme rose aux coulures - Tome 1
ChickLitJ'ai pris ma petite pelle et j'ai creusé toute seule un trou bien profond, j'y ai jeté tout le bordel dans un sac plastique (non biodégradable), bien rebouché et planté de jolies petites fleurs au-dessus pour que personne ne se doute de rien. Et j'a...