Chapitre 22 - Tinder

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Ça y est je crois que ça va mieux. J'ai trouvé de quoi effacer Yann.

Ma ressource ? Tinder, le fameux site de rencontre. Jamais je n'aurais cru faire ça un jour, comme quoi je sais me remettre en question et évoluer. Merci Lucile, merci Gabriel, qui m'ont influencée par leur expérience de ces sites. Lors d'une soirée toute seule tranquille, je me suis créée une adresse mail pour m'inscrire incognito. Amandine, quarante ans. J'ai mis comme photo un plat de pâtes.

Pour m'occuper, par curiosité et sans doute pour voir jusqu'où j'étais capable d'aller. C'est réputé pour être un site de plans culs. Pas grave. L'appli est sympa, facile, gratuite. On définit quelques critères : tranche d'âge, zone géographique. Et là bim, ça donne accès à des tonnes de profils. J'élimine ou je like, très vite, en swipant à droite ou à gauche sur la photo. J'élimine tous les moches, les trop vieux, ceux qui montrent leur belle bagnole, leur moto rutilante, leur chien, leur chat, les chauves ou presque (ben oui c'est pas mon truc), les tatoués, ceux qui montrent leurs muscles stéroïdés... Le petit texte de description est parfois bourré de fautes d'orthographe, parfois débile. J'élimine aussi.

J'en ai liké trois : un David avec la photo de Shrek (quelle idée ! Je ne sais plus pourquoi j'ai fait ça), Nicolas, beau mec (un peu trop) qui avait une présentation un peu trop plan cul habitué de Tinder, et Florian, bronzé, début de barbe, au bord de la mer, l'air calme, posé et un regard qui m'a plu.

Ensuite j'ai attendu mais pas longtemps car les premiers messages sont arrivés en moins de quinze minutes. Ils doivent avoir très faim tous ces hommes pour avoir envie d'envoyer un message à un plat de pâtes !

David était plutôt marrant mais un peu lourd à la fin :

- Bonjour Amandine, je suis David enchanté

- Salut !

- Ça va ? Moi je suis Shrek mais tu es originale aussi dans ta photo

- Oui pourquoi Shrek d'ailleurs ?

- Parce que j'aime bien Shrek tout simplement

- Tu lui ressembles ?

- Le même !!!! Mais en moins vert...et toi tu ressemble à une casserole ?

- Ou à un gros tas de pâtes ? Je sais pas j'hésite

- J'adore les pâtes !!!!

- Même les nouilles ?

- Ça dépend de la sauce !!!!

Nicolas, ancien sportif de haut niveau reconverti en consultant innovation (jemelapete.com). Il m'a envoyé rapidement son numéro de téléphone pour qu'on s'appelle ("plus simple" a-t-il dit). Je lui ai répondu que ouh là, je n'étais pas prête et il m'a dégagée.

Florian :

- Italienne ?

- Pas du tout !

- Mais ton plat y ressemble...

- Oui j'avais compris l'allusion. C'est juste que je ne savais pas quoi mettre comme photo. C'est une recette facile que m'a donné une copine parce que j'aime pas cuisiner.

- Mais ça à l'air très bon

- Oui mais j'ai pas encore trouvé la motiv. Et puis j'ai une bonne excuse je me suis cassée l'épaule donc j'ai qu'un bras. Donc pas possible de cuisiner

- Aie en effet pas top...

- C'est surtout pas de pot. Et sinon t'es qui toi ?

Et il ne me répond pas. Donc je relance le soir même, parce que ses messages m'avaient plus. Le lendemain nous échangeons toute la matinée. La mayonnaise prend des deux côtés. ll réussit à me faire avouer mon vrai nom, mon vrai âge, ma situation familiale, mes trois enfants, pourquoi je me suis inscrite sur Tinder et je lui ai même permis de trouver ma photo en lui donnant un lien sur internet.

Il est séparé depuis un an, un fils de 18 ans. Il cherche une belle personne pour partager sa vie, il trouve que je ressemble à Nathalie Baye, il part faire un stage de parachutisme au Maroc pendant les vacances. Juste entreprenant ce qu'il faut dans ses approches, sachant poser les bonnes questions, appréciant la manière dont je m'exprime.

Après être partis dans des échanges un peu trop orientés sur la manière de refaire le monde j'ai relancé :

- Bon faudrait pas trop partir dans des discussions philosophiques, ça va devenir chiant ;)

- :)

- Moi j'aime bien boire une bonne petite bière de temps en temps !

- ;) Pareil.

- J'aime bien ton feeling, tu es perspicace, aventureuse et prudente. Il me semble

Ensuite je l'ai laissé revenir, ce qu'il n'a pas manqué de faire. Je me demandais comment reprendre une conversation sans qu'on en arrive à s'emmerder...

- A mon tour de te poser des questions...t'es d'accord ?

- YES

- Ok. Je vais coucher mon fils et après je t'attaque*

- suis prêt :D

- Bon pour commencer, comment ça se fait que t'es chez toi au lieu d'aller boire un coup avec tes potes ?

- Très bonne question ! C'est un choix. Et puis mes potes n'ont pas tous 20 ans...Et ils ne sont pas tous célibataires. Alors au lieu de chercher lesquels seraient libres, j'ai préféré faire des trucs chez moi

Etc, etc...

Et puis Fabrice est rentré, j'ai cessé les messages et j'ai emmené Max se coucher. Mes petites antennes s'agitant, je décide de retourner au salon à pas de loup. Et je découvre Fabrice avec mon téléphone portable dans les mains. Il se met à hurler "C'est qui ce mec, c'est quoi ces discussions débiles !". Aïe il avait trouvé mes discussions sur Tinder.

C'est parti en vrille comme jamais.

J'ai pris les clés de la voiture en disant "Je me casse !". Il m'a arraché les clés des mains "T'as pas le droit de conduire !". Avec mon bras en attelle j'ai enfilé ma doudoune et mes bottes, pris mon sac et mon téléphone et je suis partie à pied. Il était 23 heures, il pleuvait des cordes, il faisait deux degrés mais je n'en avais rien à foutre. J'étais électrique.

J'ai marché au hasard, trempée jusqu'aux os sous une pluie battante. J'ai fini par me réfugier dans la grange d'une ferme du voisinage, à cinq minutes de chez moi. J'ai hésité entre un tas de foin sans doute plein de rats et une remorque boueuse. Je me suis finalement installée au volant d'un tracteur. C'était affreusement inconfortable, il faisait froid et humide, mais j'ai quand même réussi à m'endormir la tête calée sur la vitre avec mon sac comme semblant de coussin. Fabrice n'arrêtait pas d'appeler, je ne répondais pas et j'ai fini par éteindre mon téléphone.

J'étais cachée, inatteignable, personne pour me faire chier, j'étais bien. Jusqu'à ce que j'ai les pieds trop gelés alors je suis rentrée, vers 3h du matin.

J'ai décidé de jeter un coup de pied dans la fourmilière. Une jolie fourmilière qui fonctionnait très bien, parfaite, où tout était si bien organisé en apparence. Je me dis que c'est une folie. Mais je sens que c'est ce que je dois faire. Je ne peux plus continuer comme ça, à me contenter d'une petite vie tranquille qui ne me convient plus, il faut que je bouscule tout. Je ne sais pas ce qui va en sortir, mais au moins ce sera différent, ça sera de toute façon une reconstruction.

La femme rose aux coulures - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant