La reprise du travail à la fin de mon congé maternité a été un cauchemar, on pourrait la qualifier de deuxième pire épreuve de ma vie, liée à la première vous l'aurez compris. Il s'agissait de retourner travailler trois semaines après avoir été broyée, réduite en miette, pulvérisée, dans une ambiance de merde avec des collègues que je n'avais aucune envie de revoir. J'étais très amaigrie, tout le monde a pensé que c'était dû à un conflit avec la directrice qui n'aurait pas apprécié mon congé maternité.
Au moment où je me suis assise à mon bureau, après plus de dix ans dans cette boite à m'éclater dans mon job, je me suis fait la promesse que je n'y serai plus dans un an.
Double claque dans la gueule, prise de conscience... il faut que je change des choses dans ma vie.
J'ai refait surface parce que j'ai toujours été combative. Et sûrement tellement trop bienveillante aussi, ou tout simplement en mode survie. La vie a repris son cours, travail, enfants, courses, weekends... Et sexe. Beaucoup plus qu'avant. Une passion renaissante, besoin de reconnaissance, besoin de sécurité, tellement besoin d'amour, je m'étais transformée en épouse idéale, celle qui ramène des sous à la maison, qui gère toute la logistique familiale et, que demander de mieux, la femme parfaite existe je l'ai trouvée, qui baise tous les jours et va même au-delà du devoir conjugal en s'achetant des dessous sexys.
Fabrice pense donc que tout va mieux.
Il a déjà oublié les conseils de la psychothérapeute, l'expression des sentiments ce n'est pas son truc. Il a tourné la page, un peu trop vite à mon goût.
Mon portable ne fonctionnant plus très bien, Fabrice m'avait proposé d'utiliser son ancien téléphone. Apparemment il n'avait pas conscience de la symbolique de cet objet. J'avais d'abord refusé, impossible parce qu'il pue.
Mon côté économe prenant le dessus, parce que j'évitais l'achat d'un téléphone neuf, j'ai finalement accepté, à condition qu'il supprime lui-même, devant moi, tout ce qu'il contenait : les sms, les photos, les contacts, les liens dans les favoris (un des hôtels où il l'a vue), les favoris dans son GPS (un winebar à Bordeaux), les photos de Marion... Pour qu'il prenne conscience de tout ce que j'ai vu. Et aussi pour le replonger dans sa merde au cas où il aurait oublié que j'essaie toujours de l'éponger.
Ses déplacements professionnels sont une torture.
Un jour, lors d'une invitation chez des collègues de mon mari, un des convives, Gaël, a gentiment mentionné un séjour à Biarritz. Je me souvenais très bien de ce déplacement professionnel, officiellement dans le nord de la France, car c'est la seule fois où Gaël a accompagné Fabrice. Pour me rassurer, Fabrice m'avait envoyé des photos de l'hôtel, du restaurant... J'avais trouvé ça bizarre sur le moment. Trop de justification, trop louche.
Enfoiré.
Pour ne pas faire d'esclandre devant les gens, j'ai attendu le trajet du retour en voiture pour lui demander des comptes. Hein, quoi, qu'est-ce que tu racontes ?... J'ai ouvert son agenda et lui ai balancé à la gueule. C'était pour me préserver, a-t-il dit.
Betty... Tous les jours et encore aujourd'hui, je cherche sa gueule de pute sur Google mais il n'y a rien. Elle a un profil Linkedin mais sans photo.
Fabrice a fini par me donner quelques détails physiques, car la psychothérapeute lui a dit qu'il pouvait, elle est grande, très bien foutue, de longs cheveux chatains.
Cette nouvelle information finit de m'anéantir, forcément, puisque je suis petite avec des gros genoux, cheveux chatains courts. Vraiment excellent pour la confiance en soi, je me demande ce que vaut vraiment cette psychothérapeute et ses conseils.
Les scénarios imaginaires délirants qui tournent en boucle dans ma tête, inspirés de scènes cinématographiques cultes, peuvent alors s'enrichir de détails. Par exemple la façon dont le premier baiser s'est passé est un baiser fougueux sur les quais de Paris, en noir et blanc, il fait nuit, style Quai des brumes revisité où Lauren Bacall a remplacé Michèle Morgan parce que c'est pour moi la référence de la femme fatale, sous une pluie torrentielle parce que c'est plus torride, la lumière d'un réverbère découpant sa silhouette à jambes sans fin et talons aiguilles (elle est bien foutue), t'as de beaux yeux tu sais, dit-il en caressant sa joue mouillée, zoom sur leurs visages (qui sont à la même hauteur puisqu'elle est grande), cheveux (longs et chatains) trempés.
Je n'aurai jamais connaissance du scénario original, celui-là tourne par conséquent en boucle...
Flo et moi vidons notre sac de merdes régulièrement, la plupart du temps autour d'un déjeuner au bistrot du coin, et c'est effarant de voir à quelle vitesse ce sac se remplit entre deux déjeuners. Fabrice déteste que je la vois. Oui nos discussions remuent le couteau dans la plaie, entretiennent la haine, la rancoeur. Mais nous avons besoin d'en parler et quand on parle de leur...je ne sais pas...de ces femmes, notre mot préféré c'est "la pute". Ce terme revient régulièrement, comme si on crachait sur nos rivales, articulé à la perfection, la pute, le mouvement des lèvres est le même que celui du crachat et c'est à celle qui lâchera le plus gros molard bien lourd et bien glaireux.
Comme si nous voulions sans cesse alimenter notre colère et nous autoanéantir encore un peu plus, nous saisissons la moindre occasion de rappeler les faits à nos maris pour tenter de rajouter des détails cruels au tableau déjà cauchemardesque. Pour Flo ce sont les lieux que son mari et sa maîtresse ont fréquentés, lieux maudits qui lui donnent la nausée, elle voudrait savoir à quel endroit exactement il l'a sautée.
En ce qui me concerne, ce sont des détails qui m'obsèdent...
Quels vêtements portait-il avec elle ? Pour que je puisse les brûler...Le portefeuille que je lui ai acheté pour la fête des pères et que je lui ai offert le lendemain d'une nuit sans doute torride... Je l'ai sous le nez tous les jours...
Tout me fait penser à elle, à cette histoire : une scène d'amour à la télé, un baiser langoureux dans un film, un reportage sur Toulouse aux infos...
L'affiche que j'ai créée, qui trône dans le salon. Je lui avais offert pour son anniversaire en 2009, alors qu'il me trompait depuis deux ans déjà. C'est une photo stylisée où je le regarde avec admiration faire un joli saut en kitesurf. Elle symbolise nos deux années de "beaux" voyages. Cette affiche est le symbole de ma naïveté. J'ai envie d'y dessiner des cornes. Je veux la décrocher du mur.
Nos maris ne comprennent pas. Ils sont agacés par notre obsession et nos questions. A quoi cela sert-il ? Ils considèrent que c'est du passé, que la page est tournée. Après avoir passé du bon temps ils ont récupéré leur femme sans trop de difficulté.
Ils ont tout gagné.
Nous n'oublions rien.
Je n'oublie rien.
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La femme rose aux coulures - Tome 1
ChickLitJ'ai pris ma petite pelle et j'ai creusé toute seule un trou bien profond, j'y ai jeté tout le bordel dans un sac plastique (non biodégradable), bien rebouché et planté de jolies petites fleurs au-dessus pour que personne ne se doute de rien. Et j'a...