Chapitre 27 - Pas l'ombre d'un doute

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Fabrice a quitté l'appartement. Il a juste emmené des sacs remplis de ses vêtements. Au moment de passer la porte de l'appartement dans lequel il a vécu presque vingt ans, il a voulu me prendre dans ses bras mais je l'ai laissé tout seul, lui, son silence et sa boule au fond de la gorge.

Moi je respire, je n'ai pas l'ombre d'un doute quant à ma décision. Mon mari ne me manque pas du tout. Je ne pense plus à lui. Ça me surprend. Jeanne dit que c'est à la mesure de tout ce que j'ai mis de côté pendant notre vie de couple. J'apprécie chaque moment où son absence me ravit : quand je rentre à la maison et qu'il n'est pas là, quand je vais me coucher toute seule, quand j'utilise la perceuse pour installer une tringle et de nouveaux rideaux (oui, je sais toujours faire !), quand je jette des vieux trucs de fond de placard sans entendre "ne fais pas ça, on ne sait jamais !", quand je découvre que je peux étaler mes fringues sur les quatre étagères de mon armoire, quand je change les meubles de place sans lui demander son avis, quand je vais acheter un nouveau vélo à Max et que je fais changer les pneus, quand mon voisin me donne un coup de main pour changer la batterie de ma voiture ou pour réparer mon sèche-linge.

La garde partagée de Max est organisée, je suis totalement libre la moitié du temps. Je m'occupe de mes appartements à touristes qui marchent bien, je sors avec les copines, je fais beaucoup de sport, je me sens légère. J'ai des envies de nouveautés, j'ai besoin de changement.

Le vieux scooter, trop lourd, avec lequel je m'étais cassé la gueule plusieurs fois, ne démarrait plus alors je me suis fait plaisir avec un petit scooter électrique tout neuf que j'ai choisi et acheté toute seule. Il est léger et silencieux, facile à conduire, je touche les pieds par terre et c'est très sécurisant.

Notre famille, nos amis, les gens que nous connaissons apprennent notre séparation. Tout le monde tombe de haut. Nous apparaissions comme un couple idéal. Les langues se délient, et je découvre que Fabrice n'était pas forcément apprécié par tout le monde. Beau, sportif, toujours bien organisé, faisant toujours mieux que tout le monde, pas de défaut, jamais aucune erreur, trop parfait, trop lisse. C'est l'image qu'il donnait et il y a des gens que ça agace. Un copain m'a avoué qu'après avoir fait sa connaissance, il avait dit ironiquement à sa femme "J'ai rencontré Superman".

Seuls mes amis et amies très proches sont au courant de la raison de notre séparation.

Je suis tombée vendredi soir sur "Ne me dis rien", un excellent téléfilm sur Arte. L'histoire d'un coup de foudre entre un homme et une femme mariés et amoureux de leur conjoint, de leur infidélité respective et des tourments d'une relation adultère. Incroyable comme le scénario était proche de mon histoire, dingue comme j'ai tout pris dans la gueule. J'ai eu l'impression de trouver encore des morceaux de puzzle qui me manquaient. Cela n'a fait que m'éloigner encore de Fabrice.

J'ai eu une expérience Tinder catastrophique. Il fallait que j'en passe par là pour me vacciner de ce système de rencontre qui ne me convient pas du tout. Il fallait que je le teste pour m'en convaincre.

Un soir j'ai créé un nouveau compte : Lucie, 42 ans. Avec cette fois la photo de mon œil en gros plan. Profil incognito, toujours pas prête à me mettre en vitrine. Quelques matchs, et des échanges avec un Ludovic. Rendez-vous dans un bar quelques jours plus tard. Quand il est arrivé, la première chose que je me suis dite c'est "qu'est-ce que je vais bien pouvoir trouver comme excuse pour me barrer vite fait ?". Une espèce de gars tout maigre, mal fagoté, avec des dents pourries qui parlait en mangeant toutes les voyelles, je devais tout lui faire répéter. Je sais, c'est très méchant ce que je viens de dire. Au bout de quarante-cinq minutes de politesses, je lui ai dit qu'il fallait que je parte parce que j'étais invitée chez des copains. J'ai payé les bières, au revoir et à jamais. Sur le chemin du retour dans ma voiture, je me marrais toute seule. Trop la honte de m'être gourrée à ce point.

Je pensais avoir réussi à oublier Yann mais il faut toujours qu'il y ait des événements qui me rappellent à lui et relancent la machine : un type qui lui ressemble énormément sur la terrasse d'un café, sa fille Chloé qui vient me tourner autour au stand du carnaval de l'école, son nom qui apparaît dès que j'ouvre Whatsapp, sa photo dans la galerie de mon Smartphone (oui, je sais je pourrais supprimer la conversation dans Whatsapp et sa photo mais pfff....pas envie !). J'ai même étudié et mis en œuvre une méthode de largage express de mon fils à l'école pour éviter de le croiser, mais parfois il y a des bugs.

Et puis il est arrivé un truc perturbant : il y a quelques jours, en descendant en ville, devant moi une voiture noire comme celle de Yann. Comme d'habitude mon regard se porte sur la calandre pour vérifier la marque. Les quatre cercles de la marque Audi, la plaque d'immatriculation commence par EV... 854. La voiture de Yann. Et au volant une fille, seule. Je ne l'ai vue que de dos, pas eu le temps de scruter. Les cheveux raides, châtains. Sandra, sa copine, forcément. Voilà.

J'en ai parlé à Jeanne ce matin. De fil en aiguille, je lui ai raconté une histoire de mes dix-huit ans qui m'est revenue à l'esprit. J'étais secrètement amoureuse d'un Mathieu qui était le beau gosse de la ville. Évidemment je ne lui avais jamais dit ou montré quoi que ce soit parce que je le trouvais trop beau et que je me sentais plus bouseuse qu'autre chose devant lui. Quelques temps (mois ? années ? Je ne me souviens plus...) plus tard, je me suis retrouvée, je ne sais plus comment, à boire un verre avec lui. Et là il m'a parlé d'une lettre que je lui avais envoyée qui l'avait bouleversé, qu'il avait trouvée magnifique.

Aucun souvenir d'une lettre que je lui aurais envoyée... J'ai tout de suite pensé à une fausse lettre qu'une copine aurait expédiée pour me faire une blague. Jusqu'au moment où il a sorti la lettre de sa poche et me l'a montrée. J'ai continué à nier, mais j'avais reconnu mon écriture. Je lui avais donc bel et bien envoyé une lettre pour lui déclarer ma flamme (à laquelle il n'avait pas répondu), et j'avais ensuite totalement oublié, enfoui, mon acte.

Suite à cette anecdote, Jeanne m'a suggéré d'écrire une lettre à Yann. Pas forcément pour lui envoyer mais avant tout pour exprimer ce que je veux lui dire, ce que je voudrais savoir.

C'est un exercice qui me plait. Je vais donc m'y mettre. Je pourrais l'apporter à notre prochaine séance si je veux.

La femme rose aux coulures - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant