- Mademoiselle ? Puis-je entrer ?
Le diable de majordome passa la tête par la porte entre-ouverte du bureau de la Lady. Cette dernière, qui croulait sous les lettres, les invitations et les documents, se redressa et ordonna au démon d'entrer. La jeune fille repoussa sur le côté les piles interminables et fit face à Sebastian.
- Tu voulais me parler de quelque chose ?
- J'ai une question à vous poser, si vous permettez.
- Oh ? Bien sûr, je t'écoute.
- Vous souvenez-vous de l'animosité que vous me portiez quand nous nous sommes rencontrés ? A vrai dire, je suis curieux d'apprendre comment et pourquoi vous m'appréciez bien plus qu'avant. Enfin, je pense que vous m'appréciez. C'est l'impression que vous renvoyez.
Rosalie se mit à rire doucement, puis adressa un sourire au démon. Elle s'appuya contre son fauteuil et le fit pivoter de gauche à droite en réfléchissant. Puis, elle répondit en prenant son temps :
- Je pense que le temps apaise toutes les tensions. Et je n'ai pas échappé à cette règle. J'ai simplement fini par... accepter. Sais-tu quelle énergie cela demande de vivre en permanence avec des gens qu'on n'aime pas ?
Le diable secoua la tête, ce qui fit rire une fois de plus la comtesse.
- Evidemment. Eh bien... C'est épuisant. La colère et la haine sont une émotion et un sentiment qui fatiguent à outrance, si bien qu'ils deviennent insupportables. Ca m'épuisait de te détester 24 heures sur 24, pour quelque chose que je ne pouvais même pas changer. Je... Je t'en veux toujours, bien sûr. Et je t'en voudrai jusqu'à mon dernier souffle de m'avoir pris Ciel. Mais il a fait ce choix lui-même. Il en connaissait les conséquences. Toi, tu ne fais que ce qu'on te demande. Et puis, tu n'es pas si méchant. Tu as fait des erreurs avec moi, mais tu t'es donné du mal pour les réparer. Et ça, je t'en serai à jamais reconnaissante.
3 ans auparavant...
Je m'apprête à prendre mon premier bain depuis des jours. Je sens mauvais, la crasse et le sang séché ne font qu'un avec mon corps blanc qui tient à peine debout. Je n'ai jamais été aussi maigre, je me fais peur à moi-même dans le reflet du miroir. Honnêtement, je crains de me déshabiller. Je suis terrifiée à l'idée de voir ce corps blanc et bleu, maigre, maltraité et utilisé comme un jouet. Je finis par retirer ma longue chemise, et les larmes me montent aux yeux. Mes côtes apparentes me répugnent, mes clavicules et tous mes autres os qui ressortent sont absolument repoussants. Ciel ressemble-t-il à cela lui aussi ? Je ne sais plus si la couleur de mes cheveux est naturelle, ou s'ils sont imprégnés de sang. La puanteur de mon corps me pique le nez et sa laideur me brûle les yeux. Pourtant, je me trouvais plutôt jolie avant. Et maintenant, voyez ce que les monstres ont fait.
Je plonge une première jambe dans le bain, et tout de suite, l'eau chaude me détend, comme un antidote qui se propagerait dans mes veines à la vitesse de la lumière. Je finis par rentrer en entier dans la baignoire, et je ne suis plus que flottement. Je n'ai jamais été aussi bien. Toute la saleté s'en va, tout le sang se détache. Mes cheveux flottent autour de moi, inertes. J'en perds quelques uns. Ce n'est pas grave. Je suis en vie. C'est tout ce qui importe.
Je rouvre les yeux, consciente qu'il y a une présence tout près de moi. Je tourne la tête vers la porte. Le démon, avec ses cheveux noirs et ses yeux rouges, me regarde avec surprise. Tout d'abord, je suis paralysée. Je ne sais pas quoi dire ou faire. Mon cerveau est sur pause et tous mes sens sont bloqués. Je suis étranglée par la peur. Puis, enfin, je ressens une brutale décharge d'adrénaline, et toute la violence dont je suis capable se déchaîne sans merci. Je me lève en vacillant et jette sur Sebastian tout ce qui me tombe sous la main : les serviettes, les bouteilles en verre, les bougies allumées, la bassine d'eau brûlante... Je hurle à pleins poumons, jusqu'à avoir mal à la poitrine, je lui crie de dégager, de ne plus jamais m'approcher, qu'il est la pire erreur que l'univers ait jamais commise. Alors qu'il referme la porte, trempé, je m'époumone une dernière fois :
- JE NE LAISSERAI PLUS QUI QUE CE SOIT ME VOIR DE CETTE MANIERE !
J'évite le maudit majordome pendant une semaine entière. Je prépare mes repas moi-même, grâce aux minces recettes que j'ai apprises toute seule ou à l'aide des anciens cuisiniers. Je mange dans mon bureau ou dans ma chambre, mais en général, je laisse de côté la moitié de mon assiette. Je m'habille, me coiffe et me lave seule. Ma porte est fermée à clé toute la nuit. Ciel me laisse faire, il pense que ça me passera.
Alors que j'essaie de dormir, en vain, j'entends la porte de ma chambre s'ouvrir doucement. Je crois d'abord que c'est mon grand frère, mais horreur, c'est le diable. Sebastian entre, muni d'un petit chariot sur lequel repose une théière et un service à thé, ainsi qu'un muffin qui m'a tout l'air d'être à la vanille. Je meurs d'envie de le croquer, mais j'interdis au majordome de faire un pas de plus.
- Mademoiselle, vous n'avez pas mangé depuis hier soir. Ce sont les ordres de Monsieur. Vous devez vous nourrir, même s'il ne s'agit que de lait et de pâtisseries.
- Je ne veux rien qui vienne de toi. Si Ciel veut que je mange, il n'a qu'à venir de lui-même.
- Je crois que vous n'avez pas conscience de la fatigue de Monsieur. Il vient tout juste de s'endormir. Permettez, s'il vous plaît. J'ai ordre de veiller sur vous aussi, que ça vous plaise ou non.
Un cri affamé provenant de mon estomac me trahit. Sebastian sourit et se permet tout seul d'avancer, mais je ne lui dis rien. Je suis bien trop fatiguée et morte de faim pour me mettre à crier. Cependant, l'amertume et la honte de son apparition dans ma salle de bains l'autre jour me consument encore.
- Je voulais vous dire que je suis profondément désolé d'avoir fait irruption pendant votre bain, My Lady. Ce n'était pas du tout digne d'un majordome. J'aurais dû frapper.
- Au moins, tu reconnais tes erreurs. Je ne te pardonne pas, mais je suis quand même contente que tu viennes t'excuser, même si tu as pris ton temps.
- Vous ne m'en aviez pas laissé l'occasion avant.
Il marque un point. Dès qu'il essayait de parler en ma présence, je l'interrompais. Il faut croire que je n'ai pas été correcte non plus. Mais ai-je vraiment besoin d'être correcte avec lui ? Il tuera Ciel après tout... Mon seul et unique frère... Le dernier membre de la famille Phantomhive avec moi. Pendant que je cogite, Sebastian me sert et me tend une tasse de lait chaud, que j'accepte un peu à contre-coeur. Le lait est doux et sucré comme il faut, je pousse un soupir de bonheur.
- Monsieur m'a dit que votre dessert préféré était le muffin à la vanille. Je vous en ai préparé un en suivant la recette de l'ancien cuisinier. J'espère qu'il sera à la hauteur.
Je prends la douceur et plante mes dents dedans avec méfiance. Je mâche, et je suis sur le point de pleurer. L'espace d'un instant, j'ai l'impression que Papa et Maman sont toujours dans le manoir, prêts à venir me dire bonne nuit. J'entends les domestiques me souhaiter de beaux rêves, et je vois mon frère heureux me dire qu'il a hâte de me revoir demain matin. J'essuie mes yeux et prends une autre bouchée. Les larmes coulent sur mes joues comme des cascades, tandis que des souvenirs de bonheur se bousculent dans ma tête disloquée par la cruauté des Hommes. Lorsque le muffin a disparu dans mon ventre, je regarde Sebastian, les yeux embués et les joues noyées, et lui murmure entre deux sanglots :
- ... Merci...
J'ai pris la liberté de réécrire différemment la scène où Sebastian entre dans la salle de bains de Rosalie, scène qui figure déjà dans le premier tome de Impossible. Donc pas d'affolement, je suis parfaitement consciente que beaucoup de détails sont différents ^o^
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Black Butler Fanfic : L'Affaire des Sept Fleurs de Londres
FanficDes meurtres ont été commis dans le confessionnal de différentes églises londoniennes : des jeunes femmes de familles nobles et bourgeoises, toutes répondant à des noms évoquant des fleurs, tuées sauvagement. Ciel et Rosalie, curieux de résoudre cet...